Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Evaluation des impacts de la décapitalisation bovine en France

 
Evaluation des impacts économiques, territoriaux et environnementaux de la décapitalisation bovine en France.

Alors que la filière bovine est touchée par un mouvement de décapitalisation sans précédent, l’étude cherche à quantifier et à qualifier les impacts principaux liés à cette réduction de cheptel. Au-delà des impacts macro-économiques, certains territoires pourraient être durement touchés par ces évolutions. (Cet article est le quatrième d’une série de cinq issus des interventions scientifiques aux Matinales de la Recherche 2025 d’Interbev, le 25 mars 2025).

I. CONTEXTE ET OBJECTIFS

Depuis 2016, un mouvement de décapitalisation s’est amorcé au niveau de l’élevage bovin. Depuis trois ans, il s’est accéléré et cette évolution pourrait remettre en cause les grands équilibres de la filière, mais aussi les aménités induites par la filière.

Cette étude vise à mesurer objectivement les impacts de la décapitalisation sur plusieurs aspects :
• Économiques (balance commerciale, tissu d’abattoirs) ;
• Territoriaux (emplois directs et indirects, paysages et autres externalités) ;
• Environnementaux (GES, biodiversité, cycle de l’azote).

 

II. MATÉRIEL ET MÉTHODES

Pour étudier les impacts de la décapitalisation sur ces trois dimensions, les auteurs ont tout d’abord réalisé une analyse bibliographique permettant d’identifier les indicateurs d’impact existants et pertinents. Le cœur de l’étude a ensuite consisté à déterminer l’évolution de ces indicateurs dans la perspective d’une poursuite de la décapitalisation à la vitesse observée entre 2020 et 2022. Compte tenu de la diversité des thématiques, des indicateurs et de l’hétérogénéité des ressources bibliographiques permettant de les étudier, cette méthode s’est en pratique déclinée au cas par cas pour chaque indicateur. Les méthodologies utilisées sont détaillées dans le rapport complet de l’étude. Une synthèse courte du rapport est disponible sur le site d’Interbev ( ).

III. RÉSULTATS

Selon les projections réalisées par l’Institut de l’Élevage, basées sur les tendances observées sur les dernières années, la diminution du troupeau de bovins français est inédite : baisse prévue entre 2019 et 2030 d’une ampleur équivalente à la diminution de cheptel enregistrée en 40 ans entre 1960 et 2000 grâce des gains de productivité.

En conséquence, le nombre d’animaux finis destinés au marché français serait en forte régression entre 2022 et 2030. Cette baisse serait d’environ 20%, soit 12 500 animaux de moins par semaine, avec la ferme- ture prévisible de nombreux outils (10 à 50 abattoirs selon leur taille) et une baisse du besoin en emplois dans la filière.

Près de 37 000 emplois pourraient être touchés dans la filière (56% au niveau de la production, calculs réalisés sur la base de Lang et al., 2015), avec des territoires particulièrement touchés (risque de disparition de filières dans certaines zones, avec le départ d’outils ou de services structurants) (Figure 1). Différentes méthodes d’estimation associent la décapitalisation à une baisse du besoin total en prairies de 1,6 à 1,7 Mha, dont 1,1 à 1,4 Mha pour les prairies permanentes (calculs réalisés sur la base de Devun et al., 2012 ou encore Cordier et al., 2020).

En l’espace de sept à huit ans, plus de 2 000 km2 par an sont concernés par ces mutations, soit un département français comme les Yvelines tous les ans. Quoi qu’il en soit, les paysages ruraux de nombreuses zones vont se transformer, avec une possible évolution de la qualité des paysages et une fermeture de certains milieux qui peuvent questionner leur vocation paysagère ou touristique.

La transformation de ces surfaces induira une perte de patrimoine immatériel et identitaire de certaines régions, entraînant une banalisation du paysage (Figure 2). La question de l’augmentation du risque d’incendies (avec plus de friches si le boisement n’est pas maîtrisé et organisé) est également posée.

La souveraineté alimentaire française pourrait être questionnée, avec un solde import/export négatif en volumes et en valeur si on considère le périmètre viande et animaux vifs. Cette perte de solde commercial s’établit à près d'1 milliard d’euros par an (selon les prix de référence de 2022).

Figure n° 1 : Répartition et poids des ETP agricoles bovins selon les départements.

Evaluation impact decapitalisation Fig1

Figure n° 2 : Plateau de l’Aubrac : les murs de pierre délimitent les estives et les chemins de transhumance.

Evaluation impact decapitalisation Fig2

La relative stabilité de la consommation (érosion moins prononcée sur les dix dernières années de la consommation par habitant) induit en effet des volumes d’importations croissants pour compenser cette perte de potentiel de production. Ces importations d’origine européenne pourraient perdre de leur importance au vu du contexte de décapitalisation global, avec un recours aux volumes provenant de pays tiers, dont les standards de production sont différents.
Cette dynamique se retrouve également au niveau des émissions de gaz à effet de serre (GES), où les émissions territoriales liées à la production française diminue- raient de 18%, alors que les émissions importées pourraient doubler selon les scénarios envisagés (Figure 3).

Enfin, les effets de cette décapitalisation pourraient avoir un impact sur l’environnement selon les futurs usages de ces prairies : retournement, artificialisation, friche forêt, etc.

Figure n° 3 : Estimation de l'empreinte carbone liée à la consommation et la production de viande bovine en France (sortie ferme, cradle to gate), CERESCO d'après données IDELE et ICV Agribalyse. Seules les émissions importées varient entre les modalités 2030, 2030 UE et 2030 Pays tiers, d’après les hypothèses formulées dans le tableau suivant.


Evaluation impact decapitalisation Fig3

En ce qui concerne les variations de stock de carbone liées au changement d’affectation des prairies permanentes, trois scénarios ont été étudiées pour le devenir de ces terres : tendanciel, basé sur des projections historiques, un scénario « afforestation », avec un retournement faible des prairies et un scénario « retournement » avec une aggravation de retournement et d’artificialisation (Figure 4. Scénarios s’inspirant notamment de publications comme Thibault et al., 2022). Pour cela, un calculateur a été mis au point et se base notamment sur les teneurs moyennes en carbone des sols par affectation du RMQS du GIS Sol d’une part et des stockages permis par la mise en place de pratiques détaillées dans le rapport 4 pour 1000 (Pellerin et al., 2020) d’autre part. Les scénarios « tendanciel » et « aggravation » conduisent à une perte de stock (solde négatif de 15,1 à 64,5 millions de tonnes d’équivalent carbone) compte tenu de la libération du stock contenu dans le sol prairial induit par le fort taux de retournement (grandes cultures). Cette perte de stock correspond à l’empreinte GES annuelle de 1,6 à 9,6 millions de Français (9,5 t eq CO /hab/an) !

Figure n° 4 : Variations de stock liées au changement d’affectation de 1,1 Mha de prairies permanentes.

Evaluation impact decapitalisation Fig4

En matière de fertilisation azotée, la décapitalisation pourrait réduire la place des systèmes de polyculture-élevage, alors qu’ils permettent de valoriser directement la fertilisation organique dans les zones de production végétales.

Les impacts sur la biodiversité seront importants, avec des surfaces en grandes cultures plus pauvres en bio- diversité et l’artificialisation des prairies même si celle-ci est marginale. Les services écosystémiques seront également affectés (Figure 5).

Figure 5 : Services écosystémiques fournis par les prairies.

Evaluation impact decapitalisation Fig5


IV. CONCLUSION

Au vu de cette situation, on peut s’interroger sur la manière dont on peut stimuler la transition alors qu’elle est exposée à des flux d’importation concurrents qui risquent d’accélérer cette érosion.
Le « Consommer français » devra être au cœur des préoccupations des filières, afin d’éviter que cette trans- formation en cours ne s’accélère au détriment de tous les acteurs.

L’accompagnement du secteur à ce moment de bascule est crucial. En effet, il est nécessaire de dresser des perspectives à plus long terme pour éviter un délitement non contrôlé du secteur alors que celui-ci présente tant d’externalités positives. Les consommateurs français continueront à manger de la viande bovine dans quinze ans, autant qu’elle soit le plus vertueuse possible sur les aspects environnementaux, sociaux et économiques.

Evaluation impact decapitalisation Fig6

Références bibliographiques

Cordier C., Sailley M. (2020). GIS Avenir Elevages - Flux de matières premières au sein du système « alimentation des animaux de rente » https://www.gis-avenir-elevages.org/actions-thematiques/flux-de-matieres-premieres-en-alimentation-animale
Devun J., Brunschwig P., Guinot C. (2012). Alimentation des bovins : rations moyennes et autonomie alimentaire. Compte-rendu final 00 12 39 005 https://idele.fr/mobile/?eID=cmis_download&oID=workspace://SpacesStore/3f8510dc-9727-480d-b4aa-60b4a33b1089
Interbev (2025). Evaluation des impacts de la décapitalisation bovine en France. Recueil d’articles – Les matinales de la recherche d’Interbev (18/03/2025). receuil-articles_matinales-de-la-recherche_2025_interbev.pdf
Lang A., Perrot C., Dupraz P., Tregaro Y., Rosner P.M. (2015). GIS Elevages Demain - Les emplois liés à l’élevage français. https://idele.fr/en/?eID=cmis_download&oID=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F4b8eb29e-091a-4874-b26e-faa0db354f71&cHash=215f8ece732eb102f7f112bd989dee19
Pellerin P. et Bamière L. (pilotes scientifiques), Launay C., Martin R., Schiavo M., Angers D., Augusto L., Balesdent J., Basile-Doelsch I., Bellassen V., Cardinael R., Cécillon L., Ceschia E., Chenu C., Constantin J., Darroussin J., Delacote P., Delame N., Gastal F., Gilbert D., Graux A.I., Guenet B., Houot S., Klumpp K., Letort E., Litrico I., Martin M., Menasseri S., Mézière D., Morvan T., Mosnier C., Roger-Estrade J., Saint-André L., Sierra J., Thérond O., Viaud V., Grateau R., Le Perchec S., Réchauchère R. (2020). Stocker du carbone dans les sols français, Quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? Rapport scientifique de l'étude, INRA (France), 540 p. https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/Rapport%20Etude%204p1000.pdf
Thibault, M., Thiffault, E., Bergeron, Ouimet R. & Tremblay S. (2022). Afforestation of abandoned agricultural lands for carbon sequestration: how does it compare with natural succession? Plant Soil 475, 605–621. https://doi.org/10.1007/s11104-022-05396-3

Pour en savoir plus (liste non exhaustive) :

ADEME : Agribalyse https://agribalyse.ademe.fr/, Base Empreinte https://base-empreinte.ademe.fr/
Agreste : Statistique Agricole Annuelle (SAA) https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/SAA-SeriesLongues/detail/, Enquête pratiques culturales en grandes cultures 2017 https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Chd1903/detail/, Réseau d’information comptable agricole (RICA) https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/RICA-SeriesLongues/detail/.
ComTrade http://www.trademap.org/ et Douanes Françaises https://lekiosque.finances.gouv.fr/
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