Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

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La volaille soutient la consommation de viande

 

Dans un contexte d’érosion régulière de la consommation individuelle de viande, celle de volaille est la seule à progresser.
 
En 2021, la consommation individuelle de viande a continué à s’éroder, selon le bilan annuel publié par FranceAgriMer. Seule la viande de volaille est en progression. La consommation indigène brute de porc se maintient seulement grâce à la croissance de la population quand celle de viande décroit légèrement.
 

INTRODUCTION

En France, la consommation de viandes, calculée par bilan, a crû continuellement depuis l’après-guerre jusqu’en 1998, où un pic a été atteint avec 93,6 kg en équivalent carcasse de viandes consommées par habitant et par an (kgec/hab.), rappelle le bilan annuel de la consommation de produits carnés établi pour l’année 2021 (FranceAgriMer, 2022). Depuis cette date, la consommation de produits carnés est sur une tendance de lente décroissance. La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 en 2020 n’a pas infléchi ni accentué cette tendance. À l’exception des volailles dont la consommation progresse, l’ensemble des autres espèces a atteint son maximum de consommation par habitant à la fin des années 1980 ou au début des années 1990.

I. UNE CONSOMMATION PAR HABITANT EN BAISSE, MAIS UNE CONSOMMATION INDIGENE BRUTE QUI PROGRESSE

Le bilan de la consommation de viande établi par le service Economie de FranceAgriMer présente des évolutions contrastées. Calculée à partir d’un bilan d’approvisionnement reposant sur des données fournies par le ministère de l’Agriculture et par la Douane française, la consommation individuelle de viandes s’établit à 84,3 kilos toutes espèces confondues. Cela représente une baisse très légère de 0,1% par rapport à 2020, avec deux évolutions notables, la baisse de la consommation de viande bovine (- 0,6%) et la hausse de la volaille (+1%), les consommations des autres viandes étant quasiment stables (Figure 1).
Il ne semble donc y avoir eu aucun effet particulier du rebond de la crise sanitaire en 2021 sur la consommation individuelle de viande. En 2020, la consommation individuelle avait subi un repli plus net (de près d’un kilo sur un an) attribué à la fermeture prolongée des restaurants (Monniot et Buczinski, 2020).
Sur le plus long terme, l’évolution de l’année 2021 illustre une stabilisation plutôt qu’une réelle baisse. La consommation individuelle de viande se situe en effet dans les mêmes étiages depuis une quinzaine d’années, avec des variations entre 82 et 86 kilos. La véritable rupture remonte à la fin des années 90 et au début des années 2000 quand la consommation est passée sous la barre des 90 kilos, un niveau qu’elle n’a jamais retrouvé depuis. Le plus haut de la consommation de viande se situe toujours en 1998, avec 93,6 kilos.
Considérée à l’échelle de la population, la consommation indigène brute reste cependant positive, à la faveur de la croissance de la population française d’une année sur l’autre. La consommation totale française s’est en effet élevée à 5,685 millions de tonnes équivalent carcasse (tec) en 2021, en croissance de 0,7% par rapport à 2020. Cette progression constitue une très légère inversion de tendance. La consommation indigène brute avait en effet baissé au cours des deux années précédentes, 2019 et 2020. Les quantités consommées en 2021 restent d’ailleurs toujours inférieures ai niveau des années 2018 et 2019. Selon cette approche « brute », la consommation de volaille progresse plus nettement encore (+1,5%), tandis que le porc bascule dans le positif (+0,6%), et que bœuf et veau sont presque à l’équilibre (-0,1%).

Figure 1 - Consommation individuelle des viandes, comparaison de la structure entre 2001, 2011 et 2021.

Volaille fig1

(Source : FranceAgriMer, 2022)
 
II. DES TENDANCES DIVERGENTES SELON LES ESPECES
 
Comme on l’a déjà aperçu précédemment, les dynamiques des différentes espèces diffèrent cependant fortement. Selon les chiffres de la consommation indigène brute (Figure 1), la consommation de viande de volaille est en progression continue chaque année depuis 20 ans. A l’inverse, celle de bœuf et de veau a connu une décennie de baisse légère, mais régulière. Celle d’ovins et caprins semble se stabiliser depuis cinq ans après deux décennies de chute brutale. Quant à la viande porcine (y compris la charcuterie) ses niveaux sont relativement stables depuis quinze ans. Elle reste la viande la plus consommée en France, avec 31,5 kg par habitant, devant la volaille (27,9 kg) et les viandes bovines (22,2 kg).
La volaille, qui a détrôné le bœuf en deuxième position des espèces les plus consommées par les Français, poursuit une envolée presque continue depuis cinquante ans, en dehors d’une courte parenthèse au milieu des années 90. Entre 1981 et 2021, la consommation a doublé, passant de 900 000 tec à 1 882 000 tec. « Cette évolution positive de la consommation de volaille s’explique, d’une part, par un prix relativement bas par rapport aux autres viandes, d’autre part par une innovation constante qui accompagne les nouvelles attentes des consommateurs (praticité, forte diversité de produits, goût consensuel, etc.) », commente le rapport de FranceAgriMer.
L’explosion de la demande de volaille n’a cependant pas profité à tous les espèces avicoles. C’est en effet essentiellement la consommation de poulet qui se développe au détriment des autres volailles, notamment la dinde mais aussi le canard, dont les disponibilités ont été réduites en raison de la grippe aviaire (Tableau 1). En outre, ce sont les produits transformés (comme les panés, découpes, etc.) qui sont de loin les plus dynamiques, à la différence des produits entiers qui, eux, baissent. Enfin, le rapport observe que la hausse de la consommation de volaille « n’a pas été accompagnée en totalité par une hausse de la production ». En effet, depuis 1981, celle-ci a progressé de 36%, « le restant de la hausse des volumes consommés étant assurée par la croissance des importations ».
Enfin, autre phénomène de fond : la réduction de la part des viandes bovine et ovine. Bœuf et veau représentaient encore près de 30% de la consommation individuelle de viande il y a 20 ans, contre 26% aujourd’hui. Quant à la viande ovine, elle ne pèse plus que 3,2% en 2021, contre 4,7% en 2021 (Figure 1).
 
Tableau 1 – Evolution des ventes de volaille et lapin en grande distribution par catégories
 Volaille tab1

Source : Kantar Worldpanel

III. LES ACHATS A DOMICILE RETROUVENT DES NIVEAUX ANTERIEURS A LA CRISE
 
Les achats au détail de la viande ont connu en 2021 le contrecoup de l’année précédente, marquée par l’envolée des ventes au détail liée à la fermeture prolongée de la restauration (Tableau 2). En 2020, une part importante des volumes de viandes consommés antérieurement hors domicile s’était reportée sur les achats des ménages, ceux-ci connaissant une forte hausse, dans toutes les espèces et catégories, de 7% en moyenne (Carlhian, 2022).
En 2021, le mouvement s’est inversé. Les achats des ménages ont reculé très nettement en volume (-5,3%), aussi bien sur la viande de boucherie que sur les volailles, retrouvant la tendance observée sur les cinq années qui ont précédé la crise. En 2021, les achats de produits carnés (viande et volaille, y compris élaborés, surgelés et charcuterie) par les ménages métropolitains pour leur consommation à domicile sont ainsi évalués par le panel consommateurs Kantar Worldpanel à environ 2,1 millions de tonnes, en recul de 5,3% par rapport à 2020. Comparé à l’année 2019, ce volume progresse en revanche, de 1,5%.
 
Tableau 2 - Evolution des ventes au détail par espèce ou produit en volume
 Volaille tab2
 Source : Kantar Worldpanel
 
Le budget global des ménages français pour les produits carnés est par ailleurs évalué par Kantar à 22,6 milliards d’euros en 2021, là aussi en recul par rapport à l’année atypique 2020 (- 4,1%), mais également en hausse (+ 5,5%) lorsqu’on le compare à l’année à 2019. Ce recul des achats en 2021 (comparé à 2020) ne s’accompagne pas cependant d’une diminution du prix moyen d’achat global qui atteint 10,7 €/kg (+ 1,2% par rapport à 2020). Cette hausse est plus marquée pour les volailles que pour les viandes de boucherie. Le porc cependant a fait exception à cette évolution, avec des prix en recul sur la viande fraîche et stables sur les élaborés.
 
IV. PERSPECTIVES 
 
La consommation individuelle de viande est restée relativement stable en 2021 et les achats de viande à domicile ont retrouvé des niveaux supérieurs à ceux de 2019. Les événements de 2022, avec le rebond de la restauration hors domicile mais surtout la flambée des prix matières premières et des prix à la production devraient provoquer de nouveaux bouleversements dans les habitudes des consommateurs français.
 
IV. METHODOLOGIE
 
Deux outils détaillés ci-après sont principalement utilisés dans l’évaluation de la consommation par FranceAgriMer : le calcul par bilan et l’utilisation d’un panel consommateurs, portant sur les seuls achats des ménages pour leur consommation à domicile. Les auteurs rappellent qu’il s’agit d’une démarche descriptive qui ne prétend pas à l’exhaustivité « en raison des difficultés rencontrées dans l’analyse des données, qu’elles soient d’ordre statistique (sources souvent hétérogènes) ou d’ordre technique (par exemple les taux de couverture des panels) ». Dans un certain nombre d’autres cas, « l’information est partielle, voire inexistante », indiquent les auteurs. Par ailleurs, la consommation des produits carnés incorporés dans les produits industriels est mal connue, précisent-ils.
 
1. Consommation indigène brute (calculée par bilan)
 
Le bilan d’approvisionnement consiste à calculer, en volume, la disponibilité nationale des viandes pour l’alimentation humaine. Le calcul s’effectue selon la formule : Consommation = abattages + importations de viande - exportations de viande ± variations de stocks de viandes entre le premier et le dernier jour de l’année considérée.
Les données d’abattage sont issues des données du ministère de l’Agriculture et de l'Alimentation (Service de la statistique et de la prospective - SSP). Ces données sont exprimées en équivalent carcasse, c'est-à-dire que chaque type de produit partiellement transformé est converti en équivalent carcasse par application d’un coefficient de conversion permettant d’évaluer le poids de carcasse correspondant.
Les chiffres d’importation et d’exportation sont issus des données des Douanes françaises, Direction générale des douanes et des droits indirects du Ministère de l’Économie et des Finances. Les volumes fournis par les Douanes françaises étant en poids net, ils sont corrigés par un coefficient de conversion permettant de les estimer en équivalent carcasse, avant toute transformation du produit. Un coefficient de conversion spécifique est appliqué pour chaque ligne de nomenclature.
À partir des données du bilan d’approvisionnement, une estimation de la consommation française par habitant est calculée et exprimée en kg équivalent carcasse. Elle concerne l’ensemble de la population française, évaluée à 67,4 millions d’habitants en 2021, et l’ensemble des viandes. 
 
2. Panel consommateurs (achats des ménages pour leur consommation à domicile)
 
Ces données exprimées en tonnes de poids net et en euros par kilo sont fournies par le panel consommateurs Kantar Worldpanel. Il importe de noter que cet outil détaillé ne porte que sur une partie de la consommation. Il ne couvre pas, par exemple, la consommation de viande dans le cadre de la restauration hors domicile, ou bien dans les plats préparés où la viande intervient comme ingrédient et non comme élément principal (exemple : lardons dans les quiches). FranceAgriMer suit grâce à ce panel les achats des ménages ordinaires métropolitains pour leur consommation à domicile des viandes de boucherie et de volailles fraîches et surgelées ainsi que la charcuterie fraîche.
 
Ce panel consommateur est caractérisé par :
 
- Un échantillon représentatif de la population française (selon les critères sociodémographiques de l’Insee), constitué de 12 000 ménages pour leurs achats de produits (avec ou sans code barre). Les achats de ces ménages ne sont cependant pris en compte que lorsque ceux-ci se trouvent à leur domicile principal. De ce fait l’échantillon tend à se réduire pendant la période des vacances d’été ;
- un mode déclaratif : les ménages déclarent chaque semaine leurs achats pour leur consommation à domicile, en fournissant également des informations sur les lieux d’achat : o l’agrégat GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) regroupe les hypermarchés, les supermarchés, les supérettes, les EDMP (« enseignes à dominante marque propre » dites aussi « hard discount ») et le e-commerce (dont le drive) ; o l’agrégat « Spécifiques et autres » comprend les commerces traditionnels (boucherie, volailler, charcutier-traiteur), les marchés et les circuits de vente directe ; o le terme freezer-center désigne les magasins spécialisés dans la vente de produits surgelés.
 

Références bibliographiques : 

FranceAgriMer (2022). La consommation des produits carnés en 2021, édition juillet 2022 https://www.franceagrimer.fr/filiere-viandes/Les-dernieres-mises-en-ligne
Carlhian B. (2020). Les circuits de commercialisation des viandes en consommation hors domicile, Viandes et Produits Carnés, VPC-2020-36-4-3
Monniot C., Buczinski B. (2020). Le confinement et le marché de la viande bovine en Europe, Viandes & Produits Carnés, VPC-2020-36-3-3

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Edito

Science, ingérences et persillé

Les débats sur l’avenir de l’élevage et la viande ont bien du mal aujourd’hui à se départir d’un faisceau d’apriori idéologiques, de visées politiques mais aussi d’arrière-pensées commerciales. Un rapport de l’Ecole de guerre économique présenté début décembre dans les salons du Sénat à l’initiative du sénateur du Morbihan Yves Bleunven a ainsi mis au jour les troublantes connections entre les associations animalistes et environnementalistes œuvrant en Europe, les associations « philanthropiques » américaines qui les subventionnent et les investisseurs de la « foodtech » d’Outre-Atlantique qui ont misé d’énormes sommes sur les profits éventuels à tirer des alternatives végétales et de la « viande » artificielle. Entre 2017 et 2022, l’une de ces associations -qui s’est fait connaitre par la diffusion de vidéos-chocs tournées dans des élevages et des abattoirs- a reçu pas moins de 6,1 millions de dollars, dont une part importante provenant de l'Open Philanthropy Project (OPP). En seulement six ans, écrivent les auteurs, les dons à cette association groupusculaire ont triplé, « atteignant plus de 3M$ en 2023 ». Depuis 2016, la fondation a alloué plus de 40 M€ à diverses organisations animalistes, principalement en Europe, « afin d’influencer les débats politiques et réglementaires (notamment lors des débats sur la bientraitance animale ou de la directive IED) », affirment les auteurs. Le rapport pointe également les liens flagrants entre organisations philanthropiques et investisseurs des alternatives à la viande. Les auteurs montrent notamment comment les fondateurs des associations Mercy for Animals et PETA ont fondé le Good food institute, chargé de soutenir la « foodtech ». Entre 2014 et 2023, ce fonds « a financé la recherche et le lobbying du secteur à hauteur de 21 millions de dollars ». Une ingérence aujourd’hui encore insuffisamment prise au sérieux par l’agriculture et l’agroalimentaire européens « pour lesquels il s’agit pourtant d’une question de souveraineté », estime le sénateur Yves Bleunven.
Contre toutes les simplifications, les raccourcis ou les parti-pris plus ou moins honnêtes ciblant l’élevage et la viande, plusieurs dizaines de chercheurs ont lancé un nouvel appel « de Denver » en faveur « d’une politique guidée par le souci d’une alimentation adaptée ». « Le discrédit généralisé de la viande, des produits laitiers et des œufs doit cesser afin que nous puissions revenir à des recommandations alimentaires pleinement fondées sur des preuves scientifiques, économiquement et culturellement appropriées, qui nourrissent et respectent à la fois les consommateurs et les producteurs de ces aliments, au lieu de les discréditer sans cesse », écrivent-ils, dans le prolongement de la déclaration de Dublin, prononcée en 2022 sur le rôle sociétal de l'élevage signée par plus de 1 200 scientifiques du monde entier.
https://www.dublin-declaration.org/fr/lappel-a-action-de-denver
Bien loin de ces débats idéologiques et surtout mercantiles, ce numéro de VPC s’attache à une caractéristique essentielle de la viande bovine dans le plaisir que sa consommation procure : le persillé. En six articles, nous espérons répondre à tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce sujet peut-être moins clivant que celui de la viande artificielle mais pas si anodin pour l’orientation de la filière bovine française. Ainsi, les chercheurs continuent de travailler sans relâche car il convient de ne pas détourner l’attention du grand public de l’essentiel, à savoir la nécessité de s’appuyer sur la science pour correctement évaluer et améliorer les systèmes d’élevage et la qualité de leurs produits dont celle de la viande.

Bruno CARLHIAN et Jean-François HOCQUETTE