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ISSN  2555-8560

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Lecture d’actualité : l’élevage des grands camélidés

 

Les grands camélidés ne sont plus seulement les "vaisseaux du désert".
 
Cet ouvrage publié aux éditions Quae intitulé : « L’élevage des grands camélidés » comprend cinq parties : généralités sur les camélidés (historique, distribution géographique, et particularités anatomiques), bases physiologiques des grands camélidés, gestion technique de l’élevage de chamelles, gestion économique de l’élevage de chamelles laitières, et les produits et services camélins.
 

INTRODUCTION

L’intérêt pour l’élevage camelin dans le monde est grandissante pour des raisons tenant autant aux changements climatiques plutôt favorables à l’espèce, qu’à l’intégration économique accrue des produits camelins, lait, viande, laine, cuir, voire services agricoles et écosystémiques divers. Cet engouement pour une espèce longtemps considérée comme marginale dans le monde de la zootechnie s’étend même aux pays occidentaux qui voient l’émergence d’une filière cameline centrée sur les activités touristiques et de plus en plus de production. Le livre co-écrit par Bernard Faye, vétérinaire et spécialiste de longue date de l’élevage camelin au CIRAD, Gaukhar Konuspayeva du Kazakhstan, spécialiste reconnue du lait de chamelle et de sa transformation, et Cécile Magnan, praticienne vétérinaire qui s’est spécialisée sur les soins à apporter aux animaux de cirque, notamment les camélidés, arrive à point nommé pour permettre aux éleveurs traditionnels ou nouveaux de se familiariser avec cette espèce et ses exigences. L’intérêt de l’ouvrage a d’ailleurs été reconnu par l’Académie Vétérinaire de France qui lui a décerné le prix André Charton 2022. Le livre comprend 5 grandes parties très inégales en importance.


I. GENERALITES SUR LES GRANDS CAMELIDES

Après une brève introduction soulignant justement les évolutions en cours du secteur camelin, la première partie fait état des généralités sur les grands camélidés, historique de la famille des camélidés, biodiversité actuelle et particularités anatomiques. Ainsi, la famille des camélidés comprend aujourd’hui sept espèces (grandes et petites) et quelques hybrides et croisements. Les grands camélidés occupent les déserts froids (Bactriane ou chameau à deux bosses) et chauds (dromadaires) de l’Ancien Monde, mais de nouvelles et notables implantations ont eu lieu dans certaines parties de l’Afrique et dans les pays occidentaux au cours des dernières décennies. Avec officiellement près de 40 millions d’individus, la population mondiale de chameaux continue de croître (Faye, 2020). Malgré la description des différents phénotypes et utilisations zootechniques, la variabilité génétique apparait relativement faible, à cause de la faible pression de sélection au cours de l’histoire, et en raison de la grande mobilité des troupeaux, conduisant finalement à une population panmictique. Les grands camélidés ont une anatomie externe remarquable caractérisée par la présence d’un long cou, d’une tête horizontale, de membres allongés, et surtout d’une bosse (dromadaire) ou deux (Bactrian) sur le dos. Si le squelette du chameau n’a pas de structure particulière, la dentition se distingue de manière unique par la présence de dents caniniformes. Les dents s’usant au cours de la vie de l’animal, elles représentent un indice assez fiable pour estimer approximativement l’âge de l’animal. En ce qui concerne l’anatomie interne, nous retiendrons la présence de ganglions lymphatiques isolés, la forme non lobulée du rein et des poumons, l’absence de vésicule biliaire, la partie hélicoïdale de l’intestin et la forme flexible du pied. L’estomac et les organes génitaux sont décrits dans les chapitres consacrés à la digestion et à la reproduction.
 

II. LES BASES PHYSIOLOGIQUES DES GRANDS CAMELIDES

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux bases physiologiques des grands camélidés. Ainsi, le cycle de vie des grands camélidés est caractérisé par une puberté tardive, une longue gestation, un faible taux de fécondité, une mortalité élevée des jeunes, un long intervalle intervêlage, compensé par une longévité élevée. De telles particularités conduisent à une faible productivité numérique des troupeaux camelins. Les grands camélidés sont également connus pour leur adaptation à l’écosystème désertique. C’est ainsi qu’ils présentent une grande résistance au temps extrêmement chaud (dromadaire) ou froid (Bactriane), à la sécheresse et à la rareté des ressources en eau, étant ainsi capables de supporter de grands intervalles entre les abreuvements et d’avoir une réhydratation rapide (Bengoumi et Faye, 2002). Ils sont aussi capables de valoriser les plantes peu nutritives grâce à une physiologie spécifique de la digestion (pouvoir tampon de la salive abondante, long séjour dans l’estomac, transit intestinal lent, cycle de l’urée). Le cycle sexuel des grands camélidés est caractérisé par le manque de chaleur visible, l’ovulation provoquée par l’accouplement et un schéma saisonnier de sécrétion de la testostérone chez les mâles conduisant à une période de rut pendant l’hiver.
Malgré son apparence externe similaire à celle de la vache, l’anatomie de la mamelle du chameau est différente, marquée par une forte variabilité de la forme des trayons et une partie citernale peu développée (<15%) conduisant à une traite plus difficile, nécessitant une longue stimulation, notamment en cas de traite mécanique sans la présence du chamelon. Trois principaux flux de lait sont décrits permettant l’identification des types de chameaux en fonction de leur capacité de traite (Atigui et al., 2014). La courbe de lactation est similaire à celle de la vache, mais avec un pic moins marqué (plutôt un plateau), un taux de persistance plus élevé et une durée de lactation généralement plus longue notamment chez les chamelles laitières à haut rendement (>3000 L/lactation).
La digestion chez les grands camélidés se caractérise par un fort pouvoir tampon grâce à une salive abondante, une longue stase des particules solides et un transit intestinal lent conduisant à une digestibilité plus élevée des fourrages pauvres en nutriments. Grâce à leur comportement de broutage ambulatoire, les chameaux utilisent une grande variété de facies floristiques allant de l’herbe aux arbres, et un large panel d’espèces végétales dans l’environnement contribuant à réduire la pression sur les ressources. En outre, le chameau a des besoins en eau plus faibles (80 ml/kg de poids vif/24 h, soit la moitié des besoins de la vache) et une consommation alimentaire plus faible (environ 2 kg de matière sèche ingérée/100 kg poids vif), ce qui contribue à le considérer comme un animal à faible empreinte écologique.

 
III. GESTION TECHNIQUE DE L'ELEVAGE DE CHAMELLES LAITIERES

Dans la troisième partie de cet ouvrage est abordé la gestion technique d’un élevage de chamelles avec un focus particulier sur l’élevage laitier. La gestion des élevages camelins implique de prendre soin de leur reproduction, de la traite, de leur alimentation et de leur santé tout au long de leur vie productive. En ce qui concerne la gestion de la reproduction, l’ouvrage aborde comment l’éleveur doit contrôler l’accouplement, poser un diagnostic de gestation, assister à la mise bas, prendre soin du chamelon à la naissance et, éventuellement, comment utiliser des biotechnologies de la reproduction (insémination artificielle, transfert d’embryons). Pour la traite manuelle ou mécanique, l’ouvrage rappelle les bonnes pratiques de traite, donne des pistes pour contrôler et interpréter les flux de lait, détecter les mammites et assumer une hygiène globale de la traite. A cela s’ajoute des conseils pour le contrôle des performances de croissance des chamelons jusqu’au sevrage et au-delà si nécessaire. En ce qui concerne le système d’alimentation, l’ouvrage rappelle pour l’éleveur camelin les besoins de l’animal (en protéines, énergie, minéraux et vitamines) en fonction de l’état physiologique du chameau (femelle allaitante, gestante, mâle en rut ou non, jeune en croissance), et comment prendre soin de la disponibilité des ressources et d’abreuvement. Enfin, de nombreux avis et conseils sont fournis par les auteurs de l’ouvrage pour lutter contre les maladies (Kohler-Rollefson et al., 2001). Le chapitre consacré à la gestion de la santé inclut non seulement les principales maladies et leur traitement, mais aussi les bonnes techniques de contention, les pratiques sédatives et d’anesthésie, l’examen clinique et les prélèvements, les analyses de laboratoire et leur interprétation, le traitement des animaux malades, la prévention et l’autopsie des animaux morts, la plupart de ces éléments étant sous contrôle vétérinaire.

IV. GESTION ECONOMIQUE D'UN ELEVAGE DE CHAMELLES LAITIERES

Dans la quatrième partie de l’ouvrage, les auteurs se penchent sur la question de la rentabilité de l’élevage camelin. Pour évaluer la capacité des éleveurs camelins à tirer des revenus suffisants de leur troupeau, différents éléments doivent être pris en compte. L’élément central pour évaluer l’économie des élevages camelins est la productivité numérique, elle-même évaluable à partir d’un modèle démographique. Dans une exploitation avec des animaux identifiés (différents systèmes d’identification peuvent être utilisés) et où les performances sont enregistrées dans une base de données spécifique, il est possible de prévoir la croissance démographique du troupeau de chameaux pour les prochaines années en connaissant les principaux paramètres zootechniques tels que le taux de fécondité, le taux de mortalité dans les différentes classes d’âge, le taux de réforme, etc... L’évaluation de la performance économique de l’exploitation comprend dès lors l’évaluation des produits et des charges. Les charges sont composées de charges fixes (taux d’amortissement des infrastructures et des équipements, taxes et frais bancaires, frais administratifs y compris de personnel) et de charges variables (main-d’œuvre liée à la gestion animale, alimentation, frais vétérinaires, coûts logistiques et de commercialisation, différents réactifs), et ce, en fonction de la taille du troupeau. Les produits vendus comprennent le lait, les animaux de réforme et éventuellement des sous-produits comme la laine ou le fumier. Ainsi, les revenus financiers attendus correspondent à la différence entre les produits et les charges et peuvent être estimés pour les années futures. Un tel modèle technico-économique, construit comme une application sur un tableur, peut être utilisé comme outil de dialogue avec les éleveurs.

V. LES PRODUITS ET SERVICES CAMELINS

Dans la dernière partie, sont abordés les autres productions et services apportés par l’élevage camelin. Avec la modernisation du secteur camelin, le lait de chamelle est transformé en produits plus diversifiés qu’auparavant. En plus du lait fermenté traditionnel, le lait pasteurisé, le lait en poudre (pour le marché international), le fromage, le beurre, le yaourt, la crème glacée, et les douceurs (caramels, chocolats) sont apparus sur le marché dans la plupart des "pays du chameau" et même dans les pays occidentaux (Konuspayeva et Faye, 2021). La transformation en cosmétiques est également de plus en plus populaire. Le secteur de la viande de chameau connaît également une certaine modernisation avec notamment de meilleures conditions d’abattage et, dans quelques cas, une meilleure découpe des carcasses. Outre la transformation traditionnelle permettant une longue conservation (séchage, fumage, saumurage), de nouveaux procédés de fabrication de saucisses, de jambon ou de terrines sont aujourd’hui disponibles. Les produits non alimentaires comme la laine ou la peau connaissent également un développement récent grâce aux différentes innovations techniques dans l’industrie de la laine et du cuir qui conquièrent le marché international. L’utilisation du fumier de chameau reste marginale, du fait de son faible pouvoir fertilisant. De son côté, l’urine du chameau rentre largement dans la pharmacopée traditionnelle. Les chameaux sont également essentiels pour différents services tels que la monte sellée (en utilisant différents types de selles), y compris les courses et autres sports, le bât ou la traction afin de transporter un large éventail de marchandises ou des personnes, voire pour tirer du matériel agricole et contribuer aux travaux des champs dans les systèmes mixtes agriculture-élevage. Le chameau participe également à des événements touristiques ou de transport collectif. Une telle variété de services conduit à considérer le chameau comme l’animal domestique polyvalent et multi-usage le plus important. Un dernier paragraphe est consacré au transport des chameaux et aux conséquences en termes de bien-être animal.
Enfin, la conclusion insiste sur les mutations actuelles de cet élevage, l’animal lui-même apparaissant désormais un peu moins l’auxiliaire du nomade vivant dans les zones les plus reculées des déserts, et un peu plus un authentique acteur d’une certaine modernisation de l’élevage.

 
Références bibliographiques 

Atigui M., Hammadi M., Barmat A., Farhat M., Khorchani T., Marnet P.G. (2014). First description of milk flow traits in Tunisian dairy dromedary camels under an intensive farming system. Journal of Dairy Research, 81(2), 173-182.
Bengoumi M., Faye B. (2002). Adaptation du dromadaire à la déshydratation. Revue Sécheresse,13, 121-129.
Faye B. (2020). How many large camelids in the world? A synthetic analysis of the world camel demographic changes. Pastoralism, 10, 25; https://doi.org/10.1186/s13570-020-00176-z
Köhler-Rollefson I., Mundy P., Mathias E. (2001). A field manual of camel diseases. Bourton, SCTD Practical action publ., 254 p. https://practicalactionpublishing.com/book/741/a-field-manual-of-camel-diseases
Konuspayeva G., Faye B., 2021. Recent Advances in Camel Milk Processing. Animals. 11(4), 1045. https://doi.org/10.3390/ani11041045

camelides

 https://www.quae.com/produit/1737/9782759235001/l-elevage-des-grands-camelides

 

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Edito

Science, ingérences et persillé

Les débats sur l’avenir de l’élevage et la viande ont bien du mal aujourd’hui à se départir d’un faisceau d’apriori idéologiques, de visées politiques mais aussi d’arrière-pensées commerciales. Un rapport de l’Ecole de guerre économique présenté début décembre dans les salons du Sénat à l’initiative du sénateur du Morbihan Yves Bleunven a ainsi mis au jour les troublantes connections entre les associations animalistes et environnementalistes œuvrant en Europe, les associations « philanthropiques » américaines qui les subventionnent et les investisseurs de la « foodtech » d’Outre-Atlantique qui ont misé d’énormes sommes sur les profits éventuels à tirer des alternatives végétales et de la « viande » artificielle. Entre 2017 et 2022, l’une de ces associations -qui s’est fait connaitre par la diffusion de vidéos-chocs tournées dans des élevages et des abattoirs- a reçu pas moins de 6,1 millions de dollars, dont une part importante provenant de l'Open Philanthropy Project (OPP). En seulement six ans, écrivent les auteurs, les dons à cette association groupusculaire ont triplé, « atteignant plus de 3M$ en 2023 ». Depuis 2016, la fondation a alloué plus de 40 M€ à diverses organisations animalistes, principalement en Europe, « afin d’influencer les débats politiques et réglementaires (notamment lors des débats sur la bientraitance animale ou de la directive IED) », affirment les auteurs. Le rapport pointe également les liens flagrants entre organisations philanthropiques et investisseurs des alternatives à la viande. Les auteurs montrent notamment comment les fondateurs des associations Mercy for Animals et PETA ont fondé le Good food institute, chargé de soutenir la « foodtech ». Entre 2014 et 2023, ce fonds « a financé la recherche et le lobbying du secteur à hauteur de 21 millions de dollars ». Une ingérence aujourd’hui encore insuffisamment prise au sérieux par l’agriculture et l’agroalimentaire européens « pour lesquels il s’agit pourtant d’une question de souveraineté », estime le sénateur Yves Bleunven.
Contre toutes les simplifications, les raccourcis ou les parti-pris plus ou moins honnêtes ciblant l’élevage et la viande, plusieurs dizaines de chercheurs ont lancé un nouvel appel « de Denver » en faveur « d’une politique guidée par le souci d’une alimentation adaptée ». « Le discrédit généralisé de la viande, des produits laitiers et des œufs doit cesser afin que nous puissions revenir à des recommandations alimentaires pleinement fondées sur des preuves scientifiques, économiquement et culturellement appropriées, qui nourrissent et respectent à la fois les consommateurs et les producteurs de ces aliments, au lieu de les discréditer sans cesse », écrivent-ils, dans le prolongement de la déclaration de Dublin, prononcée en 2022 sur le rôle sociétal de l'élevage signée par plus de 1 200 scientifiques du monde entier.
https://www.dublin-declaration.org/fr/lappel-a-action-de-denver
Bien loin de ces débats idéologiques et surtout mercantiles, ce numéro de VPC s’attache à une caractéristique essentielle de la viande bovine dans le plaisir que sa consommation procure : le persillé. En six articles, nous espérons répondre à tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce sujet peut-être moins clivant que celui de la viande artificielle mais pas si anodin pour l’orientation de la filière bovine française. Ainsi, les chercheurs continuent de travailler sans relâche car il convient de ne pas détourner l’attention du grand public de l’essentiel, à savoir la nécessité de s’appuyer sur la science pour correctement évaluer et améliorer les systèmes d’élevage et la qualité de leurs produits dont celle de la viande.

Bruno CARLHIAN et Jean-François HOCQUETTE