Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

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Décongélation de la viande cameline et qualité microbiologique

 

Effet de la méthode de décongélation sur la qualité microbiologique de la viande de chameau décongelée par rapport à la viande fraîche dans les régions arides tunisiennes.
 
elevage agroecologie
Cet article propose d’évaluer l’effet de la méthode de décongélation sur la qualité microbiologique de la viande cameline. Quatre méthodes ont été analysées et comparées.
 

I. INTRODUCTION 

Une grande partie des germes contaminant les carcasses, suite aux différentes étapes de l’abattage (dépouillement et éviscération), sont saprophytes (bactéries, levures et moisissures). Ce sont des germes d’altération qui provoquent la putréfaction de la viande. Par ailleurs, la présence de germes pathogènes responsables des toxiinfections alimentaires est possible. Elle est souvent liée à des défauts d’hygiène (Durand et al., 2006). Ce sont essentiellement des bactéries protéolytiques qui entraînent des modifications néfastes sur l'odeur, la couleur, la texture et produisent des substances toxiques. C’est donc une matière première fragile qui doit être strictement surveillée en raison du danger dû à ces altérations et à la présence éventuelle de germes pathogènes (Guiraud et al., 2003 ; Larpent et al., 1997). 

La viande rouge est considérée aussi comme une denrée alimentaire hautement périssable et dont la qualité hygiénique dépend, d’une part de la contamination pendant les opérations d’abattage et de découpe et d’autre part du développement et de la croissance des flores contaminantes pendant le refroidissement, le stockage et la distribution (Dennaï et al., 2001, El Hadef et al., 2005).

La congélation de la viande fraiche est une pratique courante qui se développe considérablement et est complètement entrée dans les habitudes de conservation et de stockage. Elle permet en effet d’arrêter le développement des microorganismes et de ralentir les réactions de dégradation par le fait de la transformation d’une grande proportion de l’eau de l’aliment en glace (Girard, 1990). La congélation n'est pas forcément réalisée de façon optimale et suscite toujours des interrogations des consommateurs comme des professionnels, notamment concernant la modalité de décongélation la plus adaptée à la préservation de la qualité microbiologique de la viande consommée. C’est dans ce contexte, que s’intègre notre travail qui a pour objectif d’étudier les effets de mode de décongélation sur la qualité microbiologique de la viande rouge (cameline).

 
II. MATERIEL ET METHODES

I.1. Prélèvement de la viande cameline

Les échantillons de la viande cameline ont été prélevés dans les boucheries du marché au bestiau des camelins de Médenine (sud tunisien). Quatre échantillons de muscles de la cuisse de 100 g chacun ont été prélevés de quatre chameaux différents afin de déterminer la qualité chimique comme décrit précédemment (Ayeb et al., 2021) et la qualité microbiologique. Les échantillons ont été congelés à -20 °C pendant 24 h et après le processus de décongélation a été réalisée par différentes méthodes : au réfrigérateur (VR 4°C), à l'air libre à température ambiante (VAL), dans l'eau froide (VEF) et dans l'eau chaude (VEC). Le nombre total d'échantillons par comparaison à la viande fraiche (VF) a été de vingt (4 échantillons initiaux x 5 types traitements = 20 échantillons au total).

I.2. Analyses microbiologiques

II.1.2. Préparation de la suspension mère et des dilutions décimales

La suspension mère pour les dénombrements de micro-organismes (solution de départ pour préparer des dilutions ultérieures) a été la première dilution préparée à partir d’un produit solide (la viande). Pour cela, 10 g de viande ont été broyés en présence de 90 ml tryptone–sel-eau (TSE). L’homogénéisation a été effectuée à l'aide d’un broyeur électrique à couteaux. Cette solution homogène constitue la dilution 1/10 (10-1). La préparation des dilutions décimales a été réalisée selon la norme Française NF V- 057-2. Ainsi, un millilitre de cette suspension a été transféré aseptiquement dans un tube à essai contenant 9 ml d’eau peptonée stérile à 0,1% (la dilution 10-1). On procède de la même manière jusqu’à la dilution 10-4.

II.1.3. Dénombrement des germes

Les échantillons ont été soumis au dénombrement :

- De la flore aérobie mésophile (FAM pour Flore Aérobie Mésophile), qui indique le degré de contamination bactérienne globale des viandes. Une boîte de Pétri contenant de la gélose Plate Count Agar (PCA) a été inoculée avec un millilitre de chaque dilution (Sharlau Chemie S.A). Après 72 heures d'incubation à 30°C, toutes les colonies ont été dénombrées et les résultats sont exprimés en unités formant colonies par gramme (ufc/g).

- Des coliformes fécaux, qui renseignent sur les conditions d’hygiène de l’abattoir et sur une éventuelle contamination fécale lors des opérations d’abattage : Pour cela, la gélose lactosée biliée au cristal violet et au rouge neutre (VRBL) (AppliChem) a été utilisée. Après incubation 24 heures à 44°C, les colonies violettes, d'au moins 0,5 mm de diamètre ont été dénombrées sur des boîtes de Petri contenant entre 15 et 150 colonies (Guiraud, 1998).

- Des Staphylocoques qui ont été isolés et dénombrés sur un milieu gélosé sélectif : Baird Parker (Sharlau Chemie S.A). L’incubation des boites de Pétri ensemencées en surface a été réalisée à 37°C pendant 48 heures (Dennaï et al. 2001) et les colonies de 1 à 2 mm de diamètre ont été dénombrées.


- La recherche de salmonelles comporte quatre étapes successives :

a. Pré enrichissement

Cette étape consiste à incuber la solution mère à l’étuve pendant 24h à 37°C.

b. Enrichissement en milieux sélectifs liquides

L’enrichissement a été réalisé par transfert de 0,1 ml de la solution mère sur le milieu Rappaport Vassiliadis (9 ml) (Sharlau Chemie S.A), suivi par une incubation à 44C° pendant 24 heures.

c. L’isolement sur milieux sélectifs solides

À l’aide d’une anse de platine, une goutte de culture d’enrichissement est ensemencée sur la gélose Hecktoen (Sharlau Chemie S.A) puis incubée à 37°C pendant 24 heures.

d. L’identification

Cette étape test, réalisée par le test de l’urée indole, est effectuée lorsqu’il y a présence des colonies opaques du centre suspecte sur les milieux d’isolement. Ainsi on prélève quelques colonies dans 0,3ml de milieu urée indole et l’incubé à 37°C pendant 24h.

La lecture montre soit :
a. L’Uréase (+) : Coloration rose de milieu urée indole ; pas de salmonella
b. L’Uréase (-) : s’il y’a pas changement de la couleur ; présence de salmonella

- L’expression de résultats a été faite selon la formule :

N= (∑c) / (n1+0,1*n2) *d

Avec
N : charge totale microbienne (UFC).
∑c : le nombre total de colonies dans les boites retenues.
n1 : le nombre de boites retenues à la première dilution.
0,1 : Constante.
n2 : le nombre de boites retenues à la deuxième dilution.
d : facteur de dilution.


III. RESULTAT ET DISCUSSION

III.1. Effet de la méthode de décongélation sur le temps

La variation du temps de décongélation de la viande cameline a varié selon les méthodes (Figure 1). La viande décongelée à 4°C a pris le temps de décongélation le plus long (250 minutes) ; la viande décongelée à l’eau chaude (VEC) étant de durée la plus courte (32 minutes). Le temps de décongélation dépend du type de muscle et de la taille de l’échantillon congelé qui a toujours été de 100 g de muscle de la cuisse.

Figure 1 : Détermination de temps de décongélation de la viande caméline

Viande décongelée au réfrigérateur (VR 4°C), à l'air libre à température ambiante (VAL), dans l'eau chaude (VEC) ou dans l'eau froide (VEF).

II.2. Effet de la méthode de décongélation sur la qualité microbiologique de la viande

Une variabilité dans la charge microbienne a été enregistrée. Les germes, Salmonella, n’ont affecté aucune carcasse étudiée quelle que soit la méthode de décongélation. La quantité de germes selon la méthode de décongélation, indique que la Flore Aérobie Mésophile, parait prédominante mais sans dépasser la norme. Les taux de contamination sont différents selon les germes et la méthode de décongélation (Tableau 1). La flore aérobie mésophile observée dans cette étude (3,14 log ufc/ml) (Tableau 1) est supérieure à celle trouvée par Benaissa et al., (2015) : 3,02±0,71 log ufc/g. Ceci peut être expliqué par les conditions d’hygiène défectueuses de l’abattoir de Médenine. Mais elle est inférieure à celle enregistrée par Nouichi et Hamdi (2009) (4,48 log ufc/cm²), Elhaddef et al., (2005) (5,34 log ufc/cm²) et Hammoudi et al., (2013) (3,17log ufc/cm²) sur des carcasses bovines. Par ailleurs, les moyennes générales des coliformes fécaux des carcasses camelines (2 ,68±0,71log ufc/g) sont supérieures à celles signalées par Benaissa et al., (2015) : 2.04±0.71log ufc/g et Hamad, (2009) : 0,50 log10 ufc/cm2. Outre les mauvaises conditions d’hygiène, cette différence peut s’expliquer par l’influence de la méthode de prélèvement car les niveaux les plus importants sont retrouvés avec la méthode d’excision (Zweifel et al., 2005). En revanche ces moyennes sont inférieures à celles enregistrées par Nouichi et Hamdi en 2009 (2,92 log ufc /cm²) sur des carcasses bovines. Cependant, nous avons noté l’absence des germes présumés pathogènes (Staphylococcus, Salmonella) sur les carcasses étudiées.
La décongélation avec de l’eau froide ou avec de l’eau chaude paraissent les méthodes les plus adéquates puisque la charge microbienne apparait la plus faible par rapport à celle à air libre ou à 4°C (Tableau1). La qualité microbiologique des viandes réfrigérées dépend d’une part de la contamination antérieure causée par les mains du personnel de l’abattoir et les outils de travail pendant les opérations d’abattage et de découpage et d’autre part de la prolifération de la flore contaminante pendant la réfrigération suite à leur adaptation aux conditions de conservation (Cottin et al., 1985).

Tableau 1 : Caractéristiques microbiologiques de la viande cameline fraiche selon différents modes de décongélation (Log 10(UFC/ml))

Viande cameline tableau1

VF : viande fraîche. VR4°C : viande décongelée réfrigérateur, VAL : décongélation à l'air libre à température ambiante,
VEF : décongélation dans l'eau froide ; VEC : décongélation dans l'eau chaude
1Normes utilisées par le contrôle officiel alimentaire permettant d’évaluer l’innocuité et la qualité des aliments dans le cadre de l’application de la législation alimentaire

CONCLUSION

La méthode de décongélation de la viande cameline avec de l’eau froide a influencé la vitesse de prolifération de la majorité des flores microbiennes dénombrées, à l’exception des Salmonella et des staphylocoques dont l’absence a été notée sur tous les échantillons analysés. Les niveaux de contamination par les flores dénombrées de la viande décongelée à eau froide sont inférieurs à ceux de la viande fraiche. Ce mode de décongélation serait donc celui qui permettrait une meilleure conservation des propriétés de la viande originelle.


Références bibliographiques :
 

Benaissa A., Ould El Hadj- Khelil A., Adamou A., Et Babelhadj B. (2015). Caractéristiques microbiologiques de la viande cameline conservée et traitée selon différents modes. Revue des BioRessources, 5, 1 69- 75
Cottin, J.H., Bizon, C., Carbonelle, B. (1985). Study of Listeria monocytogenes in meat from 415 cattle. Science Aliment, 5, 145-149.
Dennaï N, Kharrattib B. and El Yachiouim A. (2001). Appréciation de la qualité microbiologique des carcasses de bovins fraîchement abattus. Annales de MédecineVétérinaire, 145, 270-274.
Durand D., Savary-Auzeloux I., Ortigues-Marty I., Thomas E., Scislowski V., Peyron A., Bauchart D. (2006). Effet de la conservation de la viande bovine sur les processus de peroxydation lipidique et protéique. Congrès Journées « Sciences du muscle et technologies des viandes» No11, Clermont-Ferrand, France. Pp. 77-78.
Nouichi S., Hamdi T.M. (2009). Superficial Bacterial Contamination of Ovine and Bovine Carcasses at El- Harrach Slaughterhouse (Algeria). European Journal of Science Research, 38, 74-485.
El Hadef El Okki S., El-Groud H., Kenana R., Quessy S. (2005). Évaluation de la contamination superficielle des carcasses bovines et ovines provenant de l'abattoir municipal de Constantine en Algérie. Canadian Veterinary Journal. Vol 46, pp 638- 640.
Girard J.P. (1990). Technologie de la viande et des produits carnés. Edition : Lavoisier, 300 p.
Guiraud J-P. (1998). Microbiologie alimentaire, microbiologie des principaux produits laitiers. Edition DUNOD, Paris. 65p.
Guiraud J.-P. (2003). Microbiologie alimentaire. Dunod – RIA. 2003, 696 LARPENT J.P. Microbiologie alimentaire. Lavoisier - Tec & Doc. Paris. 1997, 1072
Hammoudi A., Bousmaha F., Bouzid R., Aggad H., Saegerman C. (2013). Évaluation de la contamination bactérienne superficielle des carcasses bovines dans un abattoir algérien. Journal of Animal &Plant Sciences, Vol.19, Issue2, pp 2901-2907.
Larpend, J.P. (1997). Microbiologie alimentaire. Technique de laboratoire .Editions Lavoisier. 860p.
Zweifel C., Baltzer D. et Stephan R. (2005). Microbiological contamination of cattle and pig carcasses at five abattoirs determined by swab sampling in accordance with EU decision 2001/471/EC. Meat Science, 69, pp 559-566.

 

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Edito

Science, ingérences et persillé

Les débats sur l’avenir de l’élevage et la viande ont bien du mal aujourd’hui à se départir d’un faisceau d’apriori idéologiques, de visées politiques mais aussi d’arrière-pensées commerciales. Un rapport de l’Ecole de guerre économique présenté début décembre dans les salons du Sénat à l’initiative du sénateur du Morbihan Yves Bleunven a ainsi mis au jour les troublantes connections entre les associations animalistes et environnementalistes œuvrant en Europe, les associations « philanthropiques » américaines qui les subventionnent et les investisseurs de la « foodtech » d’Outre-Atlantique qui ont misé d’énormes sommes sur les profits éventuels à tirer des alternatives végétales et de la « viande » artificielle. Entre 2017 et 2022, l’une de ces associations -qui s’est fait connaitre par la diffusion de vidéos-chocs tournées dans des élevages et des abattoirs- a reçu pas moins de 6,1 millions de dollars, dont une part importante provenant de l'Open Philanthropy Project (OPP). En seulement six ans, écrivent les auteurs, les dons à cette association groupusculaire ont triplé, « atteignant plus de 3M$ en 2023 ». Depuis 2016, la fondation a alloué plus de 40 M€ à diverses organisations animalistes, principalement en Europe, « afin d’influencer les débats politiques et réglementaires (notamment lors des débats sur la bientraitance animale ou de la directive IED) », affirment les auteurs. Le rapport pointe également les liens flagrants entre organisations philanthropiques et investisseurs des alternatives à la viande. Les auteurs montrent notamment comment les fondateurs des associations Mercy for Animals et PETA ont fondé le Good food institute, chargé de soutenir la « foodtech ». Entre 2014 et 2023, ce fonds « a financé la recherche et le lobbying du secteur à hauteur de 21 millions de dollars ». Une ingérence aujourd’hui encore insuffisamment prise au sérieux par l’agriculture et l’agroalimentaire européens « pour lesquels il s’agit pourtant d’une question de souveraineté », estime le sénateur Yves Bleunven.
Contre toutes les simplifications, les raccourcis ou les parti-pris plus ou moins honnêtes ciblant l’élevage et la viande, plusieurs dizaines de chercheurs ont lancé un nouvel appel « de Denver » en faveur « d’une politique guidée par le souci d’une alimentation adaptée ». « Le discrédit généralisé de la viande, des produits laitiers et des œufs doit cesser afin que nous puissions revenir à des recommandations alimentaires pleinement fondées sur des preuves scientifiques, économiquement et culturellement appropriées, qui nourrissent et respectent à la fois les consommateurs et les producteurs de ces aliments, au lieu de les discréditer sans cesse », écrivent-ils, dans le prolongement de la déclaration de Dublin, prononcée en 2022 sur le rôle sociétal de l'élevage signée par plus de 1 200 scientifiques du monde entier.
https://www.dublin-declaration.org/fr/lappel-a-action-de-denver
Bien loin de ces débats idéologiques et surtout mercantiles, ce numéro de VPC s’attache à une caractéristique essentielle de la viande bovine dans le plaisir que sa consommation procure : le persillé. En six articles, nous espérons répondre à tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce sujet peut-être moins clivant que celui de la viande artificielle mais pas si anodin pour l’orientation de la filière bovine française. Ainsi, les chercheurs continuent de travailler sans relâche car il convient de ne pas détourner l’attention du grand public de l’essentiel, à savoir la nécessité de s’appuyer sur la science pour correctement évaluer et améliorer les systèmes d’élevage et la qualité de leurs produits dont celle de la viande.

Bruno CARLHIAN et Jean-François HOCQUETTE