II.1. Consultation des parties prenantes
II.1.1. Etude quantitative auprès des consommateurs
Afin de recueillir l’avis des Français sur un affichage environnemental de la viande rouge, une étude en ligne a été réalisée par le cabinet d’étude et de conseil ELABE pour INTERBEV, les 23 et 24 février 2021 selon la méthode des quotas, auprès d’un échantillon de 1008 personnes représentatif des résidents de France métropolitaine âgés de 18 ans et plus. Le panel a été interrogé sur sa perception du secteur élevage et viande en matière d’impact environnemental. L’étude indique que « parmi les informations environnementales dont les Français souhaiteraient disposer en priorité lors de l’achat de viande rouge, ils désignent en premier la valorisation des prairies, des pâturages et des paysages (53%), puis l’impact positif pour la biodiversité (52%). Les émissions de gaz à effet de serre ou la quantité d’eau utilisée arrivent derrière (respectivement à 38% et 29%) » (Figure 1). Pour les répondants, une viande rouge “bonne pour l’environnement” est avant tout locale (à minima française), issue d’une exploitation à taille humaine, qui respecte la biodiversité et la qualité des sols. Ce sont donc ces informations qui sont considérées comme prioritaires par les personnes interrogées pour l'étiquetage des produits (origine, conditions d’élevage, alimentation des animaux). Les résultats de cette étude consommateurs conforte le 1er objectif de l’expérimentation conduite par INTERBEV : intégrer à la notation les impacts positifs liés à la valorisation de l’herbe.
Figure 1 : Résultat de l’étude ELABE. Réponse à la question "Concernant l’impact environnemental, quelles sont les informations que vous souhaiteriez avoir en priorité lorsque vous achetez de la viande rouge ? En 1er ? En 2ème ? En 3ème ? - En %" - Base : Français qui achètent de la viande (992)
II.1.2. Concertation avec les ONG
Dans la lignée des concertations déjà organisées depuis 2013 par INTERBEV dans le but d’alimenter sa stratégie sociétale, des échanges spécifiques ont été organisés sur le sujet de l’affichage environnemental. Les ONG consultées (WWF, FNE, FNH) ont notamment rappelé qu’ « au regard des méthodes et données disponibles liées à l’ACV, un affichage environnemental construit uniquement sur cette base serait contreproductif pour les systèmes de production vertueux. L’affichage doit être établi sur des critères quantitatifs et qualitatifs traduisant la complexité des systèmes vivants ». Suivant cet objectif, les ONG ont choisi de prioriser les critères suivants :
• La valorisation de l’herbe et la diminution de la concurrence avec l’alimentation humaine ;
• La préservation et le renforcement des infrastructures agroécologiques ;
• L’autonomie des systèmes (lutte contre la déforestation importée, autonomie protéique des fermes, valorisation des sources locales de protéines) ;
• L’atténuation du changement climatique et réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) ;
• L’augmentation du stockage de carbone dans les sols ;
• L’absence d’utilisation de produits phytosanitaires de synthèse.
Les ONG ont souligné l’importance de considérer, à côté de l’affichage environnemental, des enjeux supplémentaires de durabilité de l’élevage comme le bien-être animal.
II.1.3. Mise à jour de la matrice de matérialité
La mise à jour d’une matrice de matérialité, réalisée pour une précédente étude (Gac et al, 2018 & 2020), hiérarchisant les enjeux environnementaux en fonction de l’importance donnée, d’une part par la filière et, d’autre part par les parties prenantes a permis de déterminer un ensemble d’enjeux et d’indicateurs prioritaires à intégrer à l’affichage et de tester des modalités de pondération cohérentes avec ces attentes en vue d’une agrégation. Cette matrice a été construite en demandant aux organisations d’INTERBEV d’une part et aux ONG environnementales d’autre part de noter les enjeux environnementaux pour la production de viande bovine française par niveau de priorité (de 1 à 4, 4 étant très prioritaire). Pour la filière, nous avons interrogé les représentants des différents maillons (élevage, mise en marché, abattage-transformation, distribution) au travers des organisations les représentant au sein d’INTERBEV. Pour les parties prenantes : les ONG se sont prêtées à l’exercice. La notation a été complétée d’études consommateurs et d’une approche « Etat » au travers des plans nationaux et de l’évolution réglementaire.
Figure 2 : Cartographie des enjeux prioritaires pour la filière viande et ses parties prenantes au travers d’une matrice de matérialité
Dans les enjeux prioritaires identifiés, beaucoup ne sont actuellement pas captés via l’ACV : l’autonomie alimentaire des systèmes d’élevage, les externalités positives liées à la valorisation de l’herbe en élevage (Infrastructures Agroécologiques, stockage de carbone, autonomie, paysage, biodiversité, bas niveaux d’intrants). Dans le cadre de ce projet, ces enseignements ont servi dans la définition des indicateurs complémentaires - dans la limite des méthodes et données disponibles - et pour la pondération des indicateurs les uns par rapport aux autres.
II.2. Démarche pour compléter les données
La démarche s’est appuyée dans un premier temps sur les données issues d’Agribalyse,3.0 en sortie « ferme », permettant d’obtenir des informations pour différents systèmes d’élevage. Cette base de données recense tous les flux sortants, dont les émissions de polluants, et entrant, dont les consommations de ressources, sur tout le cycle de vie (ICV = inventaire en cycle de vie) et les traduit en impacts environnementaux via 16 indicateurs dits de caractérisation ou « midpoint » et en un indicateur unique dits « single score » agrégant ces différents indicateurs selon une pondération issue de la méthode européenne Environmental Footprint (EF). Seuls les impacts négatifs sont répertoriés dans les données actuelles, ce qui constitue l’une des principales lacunes pour l’évaluation environnementale des systèmes d’élevage herbagers. Un travail de recherche d’indicateurs complémentaires disponibles en ACV et hors ACV a été mené pour rendre compte des services environnementaux reconnus des élevages herbivores : maintien de la biodiversité, stockage de carbone, contribution à la qualité de l’air, des sols et de l’eau. Une sélection a été effectuée sur la base de la priorisation donnée par la matrice de matérialité et de la disponibilité des méthodes et des données. Ces indicateurs retenus ont alors été calculés pour différents systèmes d’élevage puis agrégés au single score selon différentes modalités de pondération en sortie « ferme ». Une modalité d’allocation biophysique a été testée pour le produit en sortie « abattoir » ainsi qu’un principe de bonification pour valoriser les pratiques d’écoconception dans les entreprises via la prise en compte des labels et mentions environnementales. (Figure 3)
Figure 3 : Schéma de la démarche générale d’expérimentation d’un affichage environnemental pour Interbev
II.2.1. Recherche d’indicateurs ACV complémentaires
La recherche d’indicateurs ACV s’est appuyée sur les apports du projet OEKOBEEF (lauréat en 2019 de l’appel à projets GREENGO de l’ADEME) avec l’exploration de méthodes permettant de capter les enjeux de qualité des sols et de biodiversité et proposées par le cabinet Quantis. Dans ce cadre, la méthodologie LANCA (Beck et al., 2020) a été testée. Cet indicateur représente les impacts des différents modes d’occupation des terres sur la qualité des terres au travers de 5 indicateurs qui sont ensuite agrégés : résistance à l’érosion, filtration mécanique, filtration physico-chimique, régénération de l’eau souterraine, production de biomasse. Dans la méthode EF3 utilisée actuellement, l’indicateur “filtration physico-chimique" n’est pas pris en compte car considéré comme corrélé à l’indicateur “filtration mécanique” (Fazio et al., 2018), mais il s’avère intéressant dans le cas de l’évaluation de systèmes agricoles. En effet, l’introduction de cet indicateur (en iso-pondération) modifie radicalement les classements des systèmes bovins en fonction de leur part d’herbe. (Figure 4).
Figure 4 : Influence du choix de l’indicateur de qualité des terres (LANCA version EF3 en rouge) versus LANCA 5 recalculé en bleu, sur le classement des différents systèmes de production de viande bovine Bases de données source (AGB 3.0; WFDB)
Pour introduire une mesure indicative du maintien de la biodiversité, la méthodologie d’évaluation « KNUDSEN » (Knudsen et al., 2017) a été mobilisée. L’indicateur Knudsen mesure l’impact de différents types d’utilisation des terres (grandes cultures, prairies « monocotylédones, dycotylédones », conventionnel/biologique…) sur la biodiversité locale. Il est exprimé en « Potentially Disappeared Fraction » (PDF - espèces potentiellement affectées) et est lié à l'utilisation des surfaces. C’est la richesse en espèces végétales, observée par relevés, qui a été utilisée pour quantifier l’impact sur la biodiversité locale, par comparaison avec un écosystème de référence (végétation semi-naturelle des forêts tempérées). Le domaine de validité est le continent européen. Un score négatif qualifie un gain pour la biodiversité, un score positif une perte pour la biodiversité. Cette méthode a été appliquée aux données Agribalyse dans le cadre du projet de recherche MINIPROT d’Interbev (INRAE, équipe ASAE) et attribue un gain de biodiversité aux prairies et à la plupart des systèmes d’élevage bovin (figure 5). Toutefois, la méthodologie comporte des limites du fait de simplifications en grandes catégories d’usage des terres, qui conduisent notamment à assimiler les prairies temporaires à la classe « Prairies, monocotylédones », alors qu’une grande partie de ces surfaces est aujourd’hui des prairies multi-espèces (SSP – Agreste – Enquête Pratiques Culturales en Grandes Cultures). Cette classification aura un impact dans les résultats en ne tenant pas compte des bénéfices des surfaces en herbe dans certains systèmes pourtant très herbagers. Une autre méthodologie, la méthodologie « LINDNER » (Lindner et al., 2020) offre des perspectives intéressantes et permet d’approfondir cette analyse de l’impact sur la biodiversité en agrégeant des paramètres et des critères qui concernent les pratiques de culture et d’élevage. Elle permet d’évaluer la naturalité des surfaces agricoles puis de les comparer avec celle d’autres surfaces via trois scores : score de la parcelle comparé aux autres parcelles agricoles de même catégorie, score de la parcelle comparé aux autres surfaces de la région étudiée, score de la parcelle comparé aux surfaces mondiales. Dans le cadre de ce projet, les tests ont été réalisés avec la méthodologie Knudsen pour laquelle des données étaient disponibles pour les systèmes d’élevage. Toutefois, l’introduction d’un indicateur ACV sur la biodiversité pourrait aussi être réalisé via la méthodologie plus récente et plus transversale développée par Lindner et al. (2019).
Dans le cadre de l’expérimentation sur l’affichage environnemental, les variations de teneur en carbone du sol (stockage et déstockage) ont été prises en compte dans le calcul. Cela est possible directement dans l’indicateur changement climatique ou par des indicateurs complémentaires. Les méthodes développées dans le cadre de l’étude 4/1000 (Pellerin et al., 2019), notamment pour les valeurs de stockage et déstockage de carbone, font aujourd’hui référence en France. Ainsi, dans le cadre de ce projet, les forfaits 4 pour 1000 en valeur moyenne pondérée ont été retenus pour calculer les flux de stockage tendanciel de carbone (+47 kg C/ha pour cultures annuelles, +212 kg C/ha pour prairies permanentes). Il existe cependant des limites dans la mise en œuvre de ce calcul, puisqu’il ne permet pas de distinction entre le stockage de carbone pour une rotation avec ou sans prairie temporaire.
Figure 5 : Application de l’indicateur Knudsen d’évaluation de la biodiversité à différents systèmes d’élevage – valeur négative = contribution positive (Aubin et al., 2021)
II.2.2. Indicateurs hors ACV
Un état des lieux de la bibliographie et des indicateurs relatifs aux services environnementaux liés à l’élevage a été réalisé (Acta, Solagro, 2013; Manneville, 2015; Ryschawy et al., 2013; Lairez et al., 2015).
De cette analyse, en considérant les données disponibles au moment de l’étude et leur possible application aux systèmes herbivores, deux familles d’indicateurs ressortent : (i) les indicateurs basés sur la prise en compte de la biodiversité, à travers la comptabilisation des infrastructures agro-écologiques (IAE), (ii) les indicateurs basés sur la prise en compte des surfaces en terme de maintien de carbone dans les sols (stock).
Deux indicateurs complémentaires ont donc été retenus dans le cadre du projet. Un premier indicateur sur la biodiversité qui représente la contribution du système d’élevage au maintien de la biodiversité via les IAE. Ces données d’IAE, mobilisées selon la méthodologie CAP’2ER ® (IDELE), reprennent les coefficients d’équivalence (surface de biodiversité équivalente) définis dans les règles PHAE (Prime Herbagère Agro-Environnementale) partie intégrante des mesures agro-environnementale (MAE) et sont exprimées en m2/kg de poids vif. Les données disponibles pour les différents systèmes d’élevage français concernaient les mètres linéaires de haies et les surfaces en prairies permanentes. Les autres types d’IAE (mares, murets...) n’ont pas été comptabilisés. Un second indicateur, basé sur le stock de carbone maintenu lié à l’occupation des sols (Pellerin et al., 2020) a également été retenu. Cet indicateur repose sur les valeurs de stock de carbone issues de l’étude 4/1000 .
Le choix de ces indicateurs a été conditionné par la disponibilité des données et des méthodes au moment de l’expérimentation, leur pertinence pour rendre compte de la qualité environnementale de l’élevage mis en avant par la bibliographie, la notoriété et la reconnaissance des indicateurs, et les priorités identifiées par les parties prenantes et la société civile.
II.3. Construction des scénarii
Afin d’évaluer l’influence des indicateurs complémentaires à la notation des systèmes d’élevage, plusieurs scenarii ont été étudiés. Dans un premier temps, l’objectif a été de déterminer si l’ajout d’indicateurs au sein du score unique EF3 pouvait avoir une incidence sur la notation et le classement des systèmes herbagers. Le scenario d’origine “score unique EF3”, scenario de base, a été comparé à des scenarii alternatifs avec l’ajout séparé des indicateurs Knudsen, LANCA 5 ou stockage tendanciel de carbone, puis en combinant ces indicateurs et en faisant le choix d’une iso-pondération. En effet l’ajout de l’indicateur biodiversité de Knudsen nécessite l’adaptation de la pondération EF3 pour obtenir le score unique. Cette iso-pondération a consisté à attribuer un poids équivalent à l’ensemble des enjeux après regroupement des indicateurs portant sur le même enjeu (trois indicateurs d’eutrophisation, deux indicateurs de toxicité humaine). (Figure 6).
Dans un second temps, la contribution d’indicateurs complémentaires hors-ACV a été étudiée au travers de scenarii reposant sur différents niveaux de pondération ACV / indicateurs complémentaires biodiversité et stockage de carbone.
Pour évaluer l’impact de ces scenarii sur la notation des productions agricoles, les systèmes suivants ont été retenus (est précisée entre parenthèse leur part de contribution à la production de viande bovine française) :
• Vache allaitante (charolaise <1,2 UGB/ha) (12,2%)
• Vache allaitante (charolaise >1,2 UGB/ha) (12,2%)
• Jeune bovin allaitant (charolais >1,2 UGB/ha) (13,3%)
• Vache allaitante bio (Rhône-Alpes)
• Vache réforme laitière bio (Grand-Est) (1,6%)
• Vache réforme laitière (système de plaine 30% maïs) (16,8%)
• Jeune bovin conventionnel (système de plaine 30% maïs) (8,9%)
• Viande moyenne France
• Vache feedlot USA
• Agneau
• Volaille conventionnelle
• Soja bio monde
L’analyse a principalement porté sur les systèmes herbivores. Toutefois, une production de protéines végétales destinée à l’alimentation humaine (soja bio pour éviter le soja destiné à l’alimentation animale) et un système d’élevage monogastrique (volaille conventionnelle) ont été inclus afin d'évaluer le classement des systèmes herbivores au sein des différentes catégories de produits alimentaires pour chaque scenario.
Pour cet article, deux scenarii différents sont retenus pour illustrer l’importance de la contribution des indicateurs complémentaires et l’importance de la pondération dans la notation finale :
• Un scenario “ACV complété” reposant sur le score EF3 complété avec l’indicateur de biodiversité Knudsen et une iso pondération des indicateurs.
• Un scenario “ACV combiné” reposant à 50% sur le score EF3 combiné avec l’indicateur IAE (25%) et l’indicateur maintien du stock de carbone (25%).
Figure 6 : Isopondération par catégories d’enjeux des impacts d’EF3
II.4. Allocation à l’abattoir
La répartition des impacts entre produits et coproduits est une question courante en ACV. Au niveau de l’abattoir, Agribalyse applique pour le moment une allocation économique. Or, la norme ISO 14044 recommande en premier lieu d’éviter l’allocation, par exemple en subdivisant un système en sous-systèmes. A défaut, il est préférable d’appliquer :
• 1/ L’extension des frontières du système ce qui revient à quantifier les impacts évités grâce à l’utilisation des coproduits (par exemple si la graisse animale est utilisée en combustible on lui attribue l’impact de son équivalent énergétique en pétrole et on soustrait cet impact à l’impact total du système dont sont issus les coproduits pour n’avoir que les impacts du coproduits d’intérêt)
• 2/ Les allocations physique : Biophysique, Massique stricte, Massique sur Matières sèche, Protéique, MG/MP, Énergétique…
• 3/ L’allocation économique, c’est-à-dire une allocation au prorata des valeurs marchandes des différents produits et coproduits
Un des freins couramment exprimés au sujet des allocations biophysique, plus complexes, est la difficulté à collecter les données. Mais il existe aujourd’hui une base de données et un outil (MeatPartTool – Le Féon et al., 2020) qui facilitent l’utilisation de la méthode d’allocation biophysique aux étapes de transformation agroalimentaires et sa comparaison aux méthodes d’allocation massique et économique pour les coproduits de la viande des bovins et des ovins. Cette allocation a été testée dans le cadre de ce projet.
II.5. Vers un système de bonification ?
Afin de valoriser les pratiques vertueuses en élevage comme dans les entreprises de la filière sur un affichage qui utiliserait majoritairement des données génériques, le projet souligne l’intérêt que pourrait avoir un principe de bonification des démarches ayant un effet prouvé sur la réduction des impacts environnementaux, en complément des indicateurs ACV. Il faudrait pour cela faire un travail de hiérarchisation et quantification de l’impact des différentes pratiques et vérifier l’absence de double-comptage avec les indicateurs déjà pris en compte.