Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Blockchain : quelles perspectives pour la filière Label Rouge gros bovins ?



Étude de faisabilité de mise en œuvre d’une blockchain auprès de la filière Label Rouge gros bovins.

Les perspectives de développement de la technologie Block Chain pour la filière "Label rouge gros bovins" ont été étudiées au travers d’une étude de faisabilité technique et d’une analyse SWOT (forces, faiblesses, opportunités et menaces).

INTRODUCTION

Les consommateurs sont de plus en plus soucieux de l’information communiquée sur les emballages des produits. A titre d’exemple, une étude en ligne révèle que 29% des consommateurs souhaitent obtenir plus d’informations sur les caractéristiques et la qualité des viandes afin d’acheter plus des viandes de qualité (d’après Bartoli et al., 2021, enquête en ligne Haris Interactive réalisée sur 1063 personnes). Le climat de défiance des consommateurs envers les acteurs du secteur alimentaire se généralise et concerne même des filières qualités comme l’agriculture biologique. Le développement des technologies de communication numériques comme la blockchain pourrait être une des solutions qui permettraient de rassurer les consommateurs (Lepiller et Yount-André, 2019).
Par ailleurs, le cahier des charges Label Rouge (LR) impose un enregistrement d’un grand nombre d’informations tout au long de la filière, de l’éleveur (alimentation des veaux avant sevrage, durée de pâturage, etc.) au distributeur (date de la vente par exemple). Aujourd’hui, seule une partie des informations sont valorisées auprès du consommateur. Dans une logique de mieux valoriser leurs engagements auprès des consommateurs, les 18 démarches LR gros bovins s’intéressent entre autres à l’amélioration des échanges d’informations entre les différents acteurs, notamment ceux nécessaires pour la labellisation Label Rouge.
La blockchain, nouvelle technologie, qui s’est illustrée dans le monde de la cryptomonnaie, pourrait être une solution pour faciliter la transmission et la fiabilité des informations communiquées entre les opérateurs mais également aux consommateurs. Son utilisation pourrait également faciliter les audits obligatoires dans le cadre du Label Rouge. Les perspectives de mise en œuvre de cette technologie auprès des filières Label Rouge gros bovins n’ont pas été explorées jusqu’à présent. C’est l’objet du présent article qui s’attachera à :
- évaluer la faisabilité technique de la blockchain,
- faire l’analyse des forces, faiblesses, opportunités et des menaces liés à l’utilisation de la technologie pour les filières Label Rouge gros bovins grâce à une analyse SWOT.
Cette étude a été menée auprès de différents acteurs des démarches Label Rouge (de l’élevage jusqu’à la distribution) à travers des enquêtes et en s’appuyant sur l’expertise d’une société spécialisée dans la mise en œuvre des blockchains.

I. PRINCIPE DE BASE DU FONCTIONNEMENT DE LA BLOCKCHAIN

1.1. La création de la blockchain commence dans les années 1990

Une application du concept de blockchain remonte à 1991. Stuart Haber et Scott Stornetta, deux cryptographes américains, ont inventé la blockchain pour horodater par un code unique les journaux du New York Times dans les rubriques "annonces et objets perdus".
A la moindre modification après publication du journal, ce code horodaté changeait automatiquement. Il n’était alors plus identique aux journaux originaux, rendant la falsification impossible. C’est en 2008 que la première blockchain apparaît pour échanger de la valeur sans passer par les banques, c’est la cryptomonnaie « Bitcoin » (manifeste Cypherpunk – Satoshi – BTC).
Par la suite, des blockchains ont été créées dans d’autres domaines d’activités :

- Pour faciliter les échanges internationaux :
Fin décembre 2016, la start-up australienne AgriDigital effectue, grâce à la blockchain, la première transaction physique de matières premières agricoles (le blé) avec l’ambition d’accélérer et de simplifier les paiements des céréaliers. Un autre exemple concerne le groupe Louis Dreyfus, la Société Générale, ABN Amro et ING qui réalisent fin 2017 un test grandeur nature avec une livraison de soja entre les États-Unis et la Chine en utilisant la technologie blockchain. Cela leur a permis de diviser par cinq les durées de traitement administratif.

- Pour sécuriser les plans cadastraux dans les registres fonciers :
Les erreurs de cadastre dans les pays en développement ont de lourdes conséquences sur l’économie agricole. Le Honduras et le Rwanda travaillent actuellement sur des registres cadastraux utilisant la technologie blockchain permettant d’en assurer la fiabilité et consolider ainsi les droits de propriétés.

- Pour assurer la traçabilité des chaînes d’approvisionnement :

Aux Pays-Bas, l’université de Wageningen a publié en décembre 2017 les résultats prometteurs d’un test grandeur nature réalisé avec un partenaire privé sur la traçabilité du raisin de table biologique sud-africain. La start-up londonienne « Provenance » a quant à elle expérimenté avec succès la traçabilité du thon pêché en Indonésie, puis a étendu ses opérations à d’autres produits. Avec plus d’ampleur encore, IBM Food Trust s’est associé à Walmart pour garantir la traçabilité du porc en Chine et de la mangue au Mexique. Ces pilotes ayant été concluants, la blockchain IBM Food Trust s’est étendue à d’autres grands groupes du secteur agroalimentaire et de la distribution (Nestlé, Unilever, Dole, etc.). La blockchain leur permet de garantir des informations sur leurs produits (lieu d’abattage et de production, données d’usine, dates de péremption, températures de conservation, etc.). En France, Carrefour a effectué un premier essai en 2018 avec le poulet fermier d’Auvergne. La démarche a ensuite été étendue à plusieurs filières. En octobre 2018, Carrefour a annoncé rejoindre IBM Food Trust afin d’augmenter progressivement le nombre de produits certifiés par cette technologie. Aujourd’hui, l’enseigne souhaite développer la blockchain pour l’ensemble de sa gamme biologique et sa marque distributeur.

1.2. Qu’est-ce que la "blockchain" ?

Les données enregistrées dans une blockchain sont regroupées au fur et à mesure de leur création dans des « boîtes » qu’on appelle des blocs. Une fois que le bloc est finalisé, une dernière donnée y est ajoutée permettant de certifier l’authenticité du contenu du bloc : c’est la signature électronique (Figure 1). Ce process démarre dès la saisie de la première information dans le bloc et se termine une fois qu’il est finalisé. La signature électronique bloque ainsi toutes modifications des données déjà saisies dans le bloc.
La signature du bloc précédent est prise en considération dans la génération de la signature du bloc courant, assurant le lien entre les blocs, ce qui explique la notion de « chaîne » de blocs ou « blockchain » en anglais.

Figure 1 : Illustration vulgarisée d’un chaînage de différents blocs

Blockchain Fig1

1.3. Les règles de gestion des données dans les blockchains

Des instructions pré-définies peuvent être intégrées dans une blockchain grâce à des algorithmes appelés « smarts contracts ». Terme utilisé dans le domaine informatique, les « smarts contracts », suivent des règles de gestion sur les données saisies dans la blockchain. Définies par les différents acteurs impliqués dans la blockchain, ces règles s’appliquent telles que programmées.
Un « smart contract » peut par exemple contenir les conditions saisies dans la blockchain qui sont à respecter dans un cahier des charges de type Label Rouge : si le pH de la carcasse enregistré dans la blockchain est supérieur à 5,8, valeur seuil du cahier des charges LR, la blockchain bloquera la labellisation de la carcasse, etc…


II. LA SOLUTION DE TRACABILITE BLOCKCHAIN POUR LES FILIERES LABEL ROUGE GROS BOVINS

2.1. Spécificité du fonctionnement des filières Label Rouge gros bovins

2.1.1 Une filière ou des filières Label Rouge ?

Le Label Rouge (LR) est un signe officiel de qualité reconnu en France qui concerne de nombreuses productions agricoles. Au total en 2020, on dénombre 436 cahiers des charges homologués LR, toutes denrées alimentaires confondues (farine de blé, œuf, fromage, charcuterie, etc.). Le Label Rouge appartient au ministère de l’Agriculture et garantit aux consommateurs des produits de qualité supérieure.
Concernant les viandes de gros bovins (c’est-à-dire pour les animaux âgés de plus de 8 mois), les démarches LR s’appuient sur un cahier des charges communs qui se décline pour chaque filière (Bœuf Fermier du Maine, Bœuf Limousin Label Rouge, Charolais Label Rouge…). On recense, en 2022, 18 cahiers des charges gros bovins LR qui diffèrent par exemple sur la race autorisée, la durée de pâturage minimale, la durée de finition, etc.

2.1.2 Comment fonctionne la filière LR gros bovins ?

Afin de produire une viande labellisée LR, un ensemble d’acteurs de terrain intervient, du fabricant d’aliments au distributeur, auxquels s’ajoutent des structures de gestion des filières Label Rouge : les Organismes de Gestion et de Défense, l’Interprofession, les Organismes de Contrôle et l’Institut National de l’Origine et de la Qualité.

- L’Organisme de Gestion et de Défense (ODG) :
Un ODG défend et gère son cahier des charges Label Rouge, dans son fonctionnement global et en suivant ses évolutions. Il a également une mission d’animation de sa filière et de communication auprès du grand public. En gros bovins, il existe actuellement 17 ODG pour 18 cahiers des charges différents (un seul ODG gère deux cahiers des charges Label Rouge). Les ODG sont reconnues officiellement par l’INAO pour la gestion d’un ou plusieurs cahiers des charges. Les ODG regroupent l’ensemble des acteurs de la filière, du fabricant d’aliments au distributeur.

- FIL Rouge, Fédération dédiée aux Label Rouge gros bovins, veaux et agneaux :
FIL Rouge fédère 16 ODG en Label Rouge gros bovins. Elle a pour rôle la représentation politique des LR, la concertation entre ODG, notamment sur le suivi technique des cahiers des charges ainsi que la communication collective sur les viandes Label Rouge.

- Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) :
L’INAO est une structure parapublique sous tutelle du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire qui reconnaît officiellement et défend les cahiers des charges des différents Signes Officiels de Qualité, dont le Label Rouge (Figure 2).

- L’Organisme de Contrôle (OC) :
L’OC réalise les contrôles permettant la certification du cahier des charges chez les opérateurs de terrain, suivant un plan de contrôle validé par l’Institut national de l’origine et de la qualité (Figure 3).
Ces 4 structures échangent régulièrement. Tous les trimestres, les OC doivent rendre à l’INAO les rapports des audits effectués, les manquements constatés et la liste des acteurs adhérents à la démarche LR. L’INAO contrôle les OC une fois par an. Des réunions tripartites ont lieu tous les ans entre les ODG, les OC et l’INAO pour faire un bilan des contrôles, discuter d’éventuelles évolutions des cahiers des charges, de ce qui fonctionne bien et moins bien dans les filières, etc. Cela permet d’assurer le bon fonctionnement des démarches Label Rouge pour garantir aux consommateurs le respect des engagements de ce signe officiel de qualité.

Figure 2 : Une démarche Label Rouge comprend les opérateurs économiques, qui interviennent dans la production de viande bovine Label Rouge ; et des structures en lien avec la certification de ces productions
(OP : organisation de producteurs, OC : organisme de contrôle, ODG : organisme de gestion et de défense, INAO : Institut national de l’origine et de la qualité)

Blockchain Fig2

Les acteurs du Label Rouge, du fabricant d’aliments au distributeur, s’engagent contractuellement pour intégrer une démarche Label Rouge à respecter les exigences de cahier des charges. Ils sont soumis à des audits internes (réalisés par l’ODG ou structure délégataire) et externes (réalisés par l’OC) selon des fréquences et des grilles de contrôles validées par l’INAO afin de s’assurer du respect du cahier des charges LR (Figure 3).

Figure 3 : Des fréquences d’audits internes et externes variant suivant l’opérateur concerné
(OP : organisation de producteurs, OC : organisme de contrôle, ODG : organisme de gestion et de défense, INAO : institut national de l’origine et de la qualité)

Blockchain Fig3

2.1.3 Comment fonctionne la labellisation Label Rouge des carcasses ?

L’étape de labellisation des carcasses en Label Rouge se déroule dans la plupart des cas à l’abattoir (une très faible proportion chez les grossistes). Etant donné que toutes les carcasses produites suivant les conditions du cahier des charges ne sont pas toutes labellisées pour des raisons de débouchés commerciaux, on distingue les carcasses dites « labellisables » des carcasses labellisées. Une carcasse est dite « labellisable » lorsqu’elle respecte toutes les conditions du cahier des charges pour être labellisée Label Rouge (éleveur habilité dans la démarche Label Rouge, race autorisée, pH de la carcasse inférieur ou égal à 5,8, …). Une carcasse labellisable devient labellisée dès lors qu’elle trouve un débouché commercial. Elle sera alors vendue au consommateur sous la certification Label Rouge.
Dans certains cas, la labellisation des carcasses se fait avec l’appui d’un outil informatique nommé Elisa, proposé par la société Elisphère. Cet outil se décline selon les opérateurs des filières Label Rouge : Elisa ODG pour la gestion de la filière, Elisa Contrôle pour les organismes de producteurs (OP) réalisant les audits internes et Elisa Vignette pour la labellisation en abattoir. Ces différents modules sont interconnectés et permettent une gestion simplifiée des données de traçabilité des viandes Label Rouge. Le module Elisa Vignette, utilisé par l’abattoir, permet la gestion des labellisations. Dans de rares cas, il arrive que le refus de labellisation soit de nature administrative. Dans ces cas, l’ODG a la main pour débloquer une carcasse pour la labellisation sans que cela nuise aux engagements du Label Rouge.
Pour les opérateurs qui ne possèdent pas cet outil, des liens automatiques peuvent exister entre leurs propres outils de traçabilité (par exemple le logiciel VIF) et l’outil de l’ODG (Elisa ODG, qui équipe toutes les ODG gros bovins). Quand ces liens automatiques n’existent pas, des saisies manuelles qui reposent sur la responsabilité de l’opérateur des données de traçabilité des produits sont requises.

2.2. La blockchain, technologie adaptée au contexte de fonctionnement de la filière Label Rouge ?

Deux options différentes de mise en place d’une solution de traçabilité utilisant la blockchain sont envisageables :
(i) Une blockchain pour l’ensemble des filières LR gros bovins : La solution blockchain peut être réfléchie à l’échelle de l’ensemble des filières LR, c’est à dire une blockchain commune pour les 18 cahiers des charges concernés. Des droits d’accès spécifiques pourraient être définis afin que chaque démarche conserve sa confidentialité et n’ait pas accès aux données au reste de la filière. Cette option permettrait de ne créer qu’un système pour l’ensemble des démarches LR. Par exemple, Fil Rouge pourrait avoir accès aux données de l’ensemble de la filière LR
(ii) Une blockchain par cahier des charges LR gros bovins : A l’inverse, une blockchain par cahier des charges est également envisageable, mais implique de multiplier les blockchains à créer. Cette hypothèse complexifie l’infrastructure logicielle et engendrera des surcoûts.
Sur la base de cette étude, les deux options sont réalisables de façon équivalente. Pour la suite de cet article et dans l’objectif de simplifier la compréhension, il a été considéré que la solution blockchain s’appliquait à une démarche, à un cahier des charges LR gros bovins.

2.2.1. Mise en place pratique et utilisation de la blockchain pour la filière Label Rouge

Face au mode de fonctionnement des filières LR, la mise en œuvre d’une solution de traçabilité blockchain pourrait être envisagée en deux étapes de la façon suivante :

- 1ère étape : organisation des données, par exemple par la création d’une base de données commune
La 1ère étape consistera à créer une base de données commune à tous les acteurs de la démarche Label Rouge. Elle pourrait être créée et alimentée à partir des outils déjà existants (Elisa, Gicab, Boviwell, etc.) en y ajoutant une dématérialisation des documents. Des ponts informatiques seraient mis en place entre les outils existants et cette base de données communes.
Cette 1ère étape permettrait de gérer la confidentialité des données en définissant des droits d’accès aux différents acteurs selon le mode de gouvernance choisi. Il serait ainsi possible de définir les accès suivant chaque acteur : par exemple les factures d’achat des matières premières renseignées dans la base de données seraient totalement confidentielles, avec seulement un accès autorisé à l’ODG. A l’inverse, les races des animaux pourraient par exemple être visibles auprès de tous les acteurs de la filière.

- 2nde étape : intégration de la technologie blockchain
Une fois cette 1ère étape réalisée, la 2nd étape consisterait à intégrer la technologie blockchain qui s’appuierait sur la base de données pour en certifier les informations. Les données intégrant la technologie blockchain seraient choisies au préalable par la filière : par exemple choix d’intégrer les races mais pas les factures. Ainsi, il est possible de ne pas inclure la totalité des données de la base de données commune sur la blockchain, préservant la confidentialité de certaines informations.
L’ensemble des données contenues dans la technologie blockchain sont visibles auprès de tous les acteurs de la filière, grâce à des outils de consultation qui seraient installés par exemple sous forme d’application mobile pour les acteurs ou d’un QR code pour les consommateurs. Ces derniers pourraient par exemple avoir accès à la traçabilité de la viande : mode d’élevage, lieu d’élevage et d’abattage de l’animal (Figure 4).

Figure 4 : Schématisation de la solution utilisant la technologie blockchain

Blockchain Fig4
Finalement, pour résumer, la solution de traçabilité utilisant la technologie blockchain adaptée au fonctionnement des filières LR gros bovins correspond à un couplage d’une base de données communes avec des droits d’accès définis, d’une blockchain qui s’en alimenterait tout en assurant la signature des données et des outils de consultation du contenu de cette blockchain.

2.2.2. Une fois la blockchain en place, quelles utilisations possibles pour une démarche LR ?

Une fois ces deux étapes réalisées, trois niveaux successifs d’utilisation de la blockchain sont possibles suivant les besoins de la filière. Ces 3 niveaux sont hiérarchiques : pour utiliser le niveau 2, il faut utiliser le 1, et pour le niveau 3 il faut le niveau 1 et 2. Ces notions de niveaux d’utilisation proposent d’intégrer la solution blockchain à différents degrés : de l’utilisation basique garantissant uniquement l’information saisie, à l’appui sur cette solution pour réaliser les audits obligatoires en LR :

- Niveau 1 : "garantie de l’information".
Il constitue l’utilisation basique d’une solution blockchain. Les informations sont dématérialisées et contenues dans une base de données commune à la filière. La technologie blockchain s’appuie sur cette base pour certifier l’existence de ces données. La filière aura ainsi la garantie que les données ont bien été renseignées et sont accessibles à tout moment dans la blockchain. Une gestion au cas par cas de la confidentialité est réalisable : il est possible de spécifier qui a accès à quoi.
De plus, c’est un ensemble d’acteurs qui valide les informations contenues dans la blockchain et non un organisme unique qui pourrait potentiellement les modifier. La garantie de l’information proposée par ce niveau 1 permet donc de rassurer les consommateurs et de favoriser la confiance entre les professionnels.

- Niveau 2 : "vérification automatique du cahier des charges".
Avec l’ajout d’un "smart contract" dans la blockchain, une comparaison automatique est réalisable entre les données enregistrées dans la technologie blockchain et les exigences du cahier des charges. Le rythme de ces vérifications est donc continu, au fil de l’eau des données enregistrées, ou sur demande, lors d’un audit. La solution blockchain peut vérifier automatiquement que les données saisies et accessibles respectent les contraintes du cahier des charges LR sur lesquelles elles portent pour un produit "labellisable", par exemple que l’éleveur soit bien adhérent ou que l’animal a bien pâturé un nombre de mois minimum. Si une des contraintes n’est pas respectée, la solution blockchain peut bloquer la labellisation tout en conservant la possibilité de laisser la main à l’ODG lors de refus administratifs, à l’instar du mode de fonctionnement actuel.
Ce niveau permet d’automatiser la vérification du cahier des charges pour faciliter le fonctionnement de la labellisation au sein d’une filière.

- Niveau 3 : "utilisation pour les audits officiels".
Ce niveau consiste à repenser le mode d’audit (interne et/ou externe) grâce à l’utilisation de la solution blockchain. Le rôle de l’OC et/ou de l’ODG (ou structure délégataire) peut alors être facilité grâce à la vérification de la concordance entre ce qui est déclaré en continu dans la blockchain et la réalité. La préparation des audits est également facilitée à la fois pour l’auditeur et pour l’audité car l’ensemble des documents sont déjà tracés. Les temps et les fréquences d’audits peuvent alors être ajustés.
Ce dernier niveau contribue à renforcer la fréquence de « contrôle » en intégrant la solution utilisant la blockchain dans le mode de fonctionnement du Label Rouge.

2.2.3. Valorisations possibles des tests sensoriels par la blockchain

Afin de s’assurer de la qualité supérieure des viandes Label Rouge, des tests sensoriels obligatoires sont réalisés tous les 2 ans avec un jury d’experts, et tous les 4 ans avec un jury de consommateurs. Ces tests permettent de caractériser les produits vis-à-vis d’un témoin grâce à jury d’experts entraîné tandis que les tests consommateurs rendent compte de l’appréciation des produits par des personnes lambdas (dites "naïves").
Les tests organoleptiques réalisés par l’ensemble des démarches Label Rouge gros bovins produisent des données sensorielles sur les viandes : caractérisation des produits suivant différents descripteurs, appréciation du produit, etc. La solution de traçabilité avec la blockchain pourrait faciliter la valorisation de ces données auprès du consommateur.
Cette solution faciliterait également les remontées des rapports de ces tests sensoriels à Fil Rouge et aux OC en ne proposant qu’un outil commun. Ces structures pourraient alors y avoir accès librement suivant les droits d’accès définis.

2.2.4. Quid d’un QR code sur l’emballage demandant au consommateur son avis ?

Au cours des enquêtes, certains acteurs ont évoqué l’intérêt d’avoir un retour des consommateurs de viande Label Rouge sur les qualités sensorielles des produits. Si cette question ne relève pas directement d’un outil utilisant la technologie blockchain, elle a donné lieu à une première proposition qui pourrait s’appuyer sur la mise en place d’une application mobile à disposition des consommateurs. Celle-ci pourrait recueillir les avis des consommateurs sur la qualité des viandes dégustées. En complément, des questions plus larges sur la démarche Label Rouge pourraient être posées.
Un dispositif central de récupération des données permettrait d’avoir un retour sur la qualité organoleptique des produits Label Rouge sur des effectifs importants dans des conditions réelles de dégustation.

III. LA BLOCKCHAIN, A QUEL COÛT ?

Par rapport à l’ensemble des éléments à disposition, un expert en blockchain d’une société informatique prestataire a réalisé une première estimation des coûts, qui repose sur 3 postes : le développement de l’outil, son installation chez les acteurs et sa maintenance. Compte tenu des informations disponibles, ce budget prévisionnel constitue une première estimation qui sera à préciser pour la mise en place d’un projet concret.

3.1. Développement de la blockchain :

- Etape n°1 : Création d’une base de données commune
La création d’une base de données commune repose sur deux étapes : en premier lieu le développement initial de l’outil commun qui nécessiterait entre 100 à 150 K€. Non compris dans ces coûts, la dématérialisation des données serait alors indispensable. Elle consiste à numériser les données actuellement sur supports, par exemple papier ou sur des fichiers informatiques diverses (Excel, etc.) en données numériques dans des formats homogènes qui sont alors intégrables à la base de données.
Puis, dans un second temps, la mise en relation de cette base de données avec les outils informatiques existants (Elisa, GICAB) demanderait entre 30 à 50 K€.
Au total, le budget de cette première étape est estimé de 130 à 200 K€.

- Etape n°2 : Mise en place de la blockchain
Pour développer et activer la blockchain, ses smarts contracts, et les outils de consultation du contenu de la blockchain (par exemple une application mobile), il faudrait compter entre 50 et 70 K€.
Le développement initial d’une solution de traçabilité intégrant la blockchain représente donc un coût total estimé de 180 à 270 K€. Ce budget représente le temps passé pour la gestion du projet, la production des livrables, le développement informatique de la solution, etc.

3.2 Installation chez les acteurs, fonctionnement en routine et maintenance :

Concernant ces autres postes, l’estimation des coûts dépendra finalement de la solution retenue, de son volume et des exigences particulières à appliquer (maintenance corrective, évolutive, préventive, etc.). Il faudra également prévoir des coûts additionnels liés à l’investissement dans des équipements informatiques nécessaires pour les opérateurs, par exemple pour certains éleveurs.

IV. ANALYSE SWOT DE LA SOLUTION BLOCKCHAIN POUR LE LABEL ROUGE

4.1. Rappel sur le principe du SWOT

Face aux évolutions souhaitées d’une entreprise ou d’une filière, une analyse SWOT permet de fournir des éléments sur les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces (Figure 5). Dans le cadre de cette étude, l’analyse s’est intéressée aux forces, faiblesses, opportunités et menaces du développement d’une solution globale de traçabilité avec la blockchain pour la filière Label Rouge gros bovins.

Figure 5 : Schématisation du principe d’une analyse SWOT sur la blockchain

Blockchain Fig4

4.2. Le SWOT appliqué à la blockchain dans les filières Label Rouge

Cette analyse a été réalisée à partir d’entretiens auprès d’acteurs des filières LR gros bovins, ainsi que sur la base de l’expertise d’une société experte en blockchain. Elle a été présentée et validée par les représentants des filières LR gros bovins.

Les forces de la blockchain pour le Label Rouge
o Valorisation des données déjà existantes dans la filière Label Rouge,
o Fluidification des échanges et erreurs limitées,
o Réactivité de la filière accrue, par exemple en cas de besoin de retrouver un numéro de lot,
o Appui sur des outils déjà existants (Elisa, GICAB…),
o Confiance mutuelle renforcée entre les acteurs d’une filière grâce à la garantie d’authenticité de l’information qui est non modifiable,
o Automatisation des vérifications du respect du cahier des charges avec une périodicité de contrôle renforcée,
o Visibilité des données en lien avec la traçabilité des produits en temps réel (Fil Rouge et ODG),
o Des échanges descendants et ascendants de données, permettant aux informations de circuler de l’éleveur au distributeur mais également du distributeur à l’éleveur.

Les faiblesses de la blockchain pour le Label Rouge
o Architecture informatique actuelle de la filière à adapter avec, par exemple, la création de lien entre les outils de saisie des opérateurs et la blockchain,
o Niveau d’informatisation des acteurs hétérogène avec par exemple des éleveurs n’ayant pas accès à internet, donc qui n’auront probablement pas accès aux logiciels de saisie de la blockchain,
o Complexité technique de la blockchain qui peut poser des difficultés de compréhension et donc freiner son adoption par les opérateurs de la filière,
o Traçabilité individuelle possible techniquement mais n’est pas envisageable économiquement pour les entreprises pour la VPH et la découpe par lot,
o Responsabilité de la donnée inscrite dans la blockchain : qui est responsable d’une erreur de saisie entre un éleveur qui fournit les données et son technicien qui s’occupe de les saisir dans la blockchain ?
o Coûts élevés de mise en place et de fonctionnement représentant un investissement important,
o Délai de mise en œuvre plutôt long.

Les opportunités de la blockchain pour le Label Rouge
o Une filière Label Rouge existante, déjà structurée et qui a l’habitude de partager des informations. Elle est, de plus, motivée pour innover,
o Valorisation d’une quantité de données en augmentation liée à l’augmentation du nombre d’acteurs entrant dans la démarche,
o Technologie en développement : fonctionnalités de plus en plus nombreuses, de la vérification du cahier des charges automatisée à la communication de la traçabilité du produit sur l’emballage. Demain, peut être que la blockchain possédera de nouvelles fonctions,
o Contexte sociétal d’attentes fortes des consommateurs sur la communication de la traçabilité des produits,
o Face à ce contexte, les opérateurs ont une réelle capacité à répondre aux attentes des consommateurs pouvant être un argument de communication auprès des consommateurs et donc constituant un choix stratégique de filière,
o Application mobile permettant d’avoir les avis des consommateurs sur la qualité perçue des produits achetés,
o Être les pionniers sur la dématérialisation.

Les menaces de la solution avec la blockchain pour le Label Rouge
o Nécessité d’une gestion de la confidentialité de la donnée,
o Filière qui n’a pas de déficit de confiance et de crédibilité pouvant engendrer des difficultés de recrutement des opérateurs pour la blockchain,
o Temps de saisie supplémentaire à envisager,
o Quel retour sur investissement, en lien avec les volumes de viandes Label Rouge n’atteignant pas les objectifs émis en 2017 de 40% des viandes bovines d’ici 2022, qui questionnent sur la répercussion possible du surcoût engendré par la blockchain,
o Evolution probable des technologies concurrentes à la blockchain et peut être plus adaptées au contexte de la filière Label Rouge dans les prochaines années,
o Vulnérabilité accrue aux attaques informatiques,
o Contexte géopolitique et environnemental de nos filières et par conséquent de leurs évolutions. Des interrogations existent sur les conséquences sur la consommation de viande en général et de viande Label Rouge en particulier.

Finalement, la solution blockchain est adaptée au contexte de fonctionnement de la filière LR gros bovins. Elle permettrait de valoriser le grand nombre de données produites dans le cadre du fonctionnement du LR tout en permettant à la filière de se positionner dans un contexte sociétal où le consommateur est demandeur d’informations sur la traçabilité des produits.
Il est néanmoins important de considérer que la solution blockchain demande une adaptation de l’architecture informatique des filières LR et nécessite une étape de dématérialisation indispensable. Si la filière souhaite s’investir à terme sur la blockchain, il conviendrait de commencer par mettre au point une preuve de concept, c’est à dire une première version d’une solution blockchain sur un cahier des charges LR. Il serait ainsi possible de préciser le coût financier et l’adaptation de l’architecture informatique à prévoir chez les opérateurs.

CONCLUSION ET PERSEPECTIVES

Le cahier des charges Label Rouge (LR) impose un enregistrement d’un grand nombre d’informations tout au long de la filière, de l’éleveur (alimentation des veaux avant sevrage, durée de pâturage, etc.) au distributeur (date de la vente par exemple). Aujourd’hui, seule une partie des informations sont valorisées auprès du consommateur. Dans une logique de mieux valoriser leurs engagements auprès des consommateurs, la solution blockchain pourrait être une solution pour faciliter la transmission et la fiabilité des informations communiquées entre les opérateurs mais également aux consommateurs. Une solution blockchain peut être mise en place soit pour un cahier des charges Label Rouge, soit pour l’ensemble des cahiers des charges LR gros bovins avec des droits d’accès définis.
La solution blockchain se compose de trois niveaux d’utilisation différents pour les acteurs du Label Rouge selon les besoins. Le niveau 1 facilite des échanges entre les acteurs d’une filière tout en garantissant l’authenticité des informations. Le niveau 2, en plus du niveau 1, permet la vérification automatique du cahier des charges Label Rouge. Enfin, le niveau 3 propose, en plus du niveau 2, de s’appuyer sur la blockchain pour la réalisation des audits externes et/ou internes officiels.
Finalement, cette étude de faisabilité a montré que la blockchain était adaptée d’un point de vue technique pour répondre aux questions posées par les filières Label Rouge. En plus d’offrir une solution de traçabilité garantissant la labellisation et le respect du cahier des charges, les échanges entre les acteurs des filières seraient davantage fluidifiés et sécurisés. Il serait également possible de valoriser les analyses sensorielles réalisées dans le cadre du cahier des charges LR à l’échelle des filières mais également aux consommateurs.
Néanmoins une étape préalable de dématérialisation des informations circulant dans la filière est indispensable pour mettre en œuvre une blockchain. Si à terme la filière souhaite s’investir sur la blockchain, le développement d’une preuve de concept d’une blockchain sur une filière Label Rouge permettrait d’approfondir la faisabilité technique et financière de cette solution.
Au-delà du secteur des produits carnés, la technologie blockchain poursuit son développement dans le domaine de la traçabilité agroalimentaire. GS1, organisation mondiale œuvrant dans la normalisation des méthodes de codages dans la logistique, a annoncé en janvier 2023 le lancement du concept GS1 URI proposant un remplacement des codes-barres à 13 chiffres, standard d’identification largement répandu dans le monde, par des QR Codes. Ces QR codes ont une capacité de stockage d’informations nettement plus importante que le traditionnel code-barre. En plus du prix, les QR codes pourraient contenir la date de péremption et les numéros de lots mais également la traçabilité du produit, par exemple relié avec une technologie blockchain. Ils seraient utilisables entre professionnels mais également par les consommateurs. Il sera également possible d’étudier les comportements des consommateurs dans les grandes et moyennes surfaces.
Ce nouveau standard promet de multiples utilisations possibles pour le secteur de l’agroalimentaire. La filière LR gros bovins pourrait y trouver de nombreux intérêts. Par exemple, sans utiliser forcément de la technologie blockchain, une application mobile à disposition des consommateurs pourrait recueillir les avis des consommateurs sur la qualité des viandes LR dégustées grâce à un QR code sur les produits. En complément, des questions plus larges sur la démarche Label Rouge pourraient être posées permettant aux filières d’obtenir des retours à large échelle sur la perception des produits.

Remerciements
Cette étude a été financée par Interbev. Les auteurs tiennent à remercier les membres du comité de pilotage du projet ainsi que les personnes enquêtées dans le cadre de l’étude ainsi que la société Atol Conseils et Développements.

Références bibliographiques

Bartoli P.H., Hauser M., Prunier A. (2021). « La consommation de viande : quelles nouvelles tendances ? ». Etude Harris Interactive pour Réseau Action Climat France. URL: http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/02/Rapport-Harris-La-consommation-de-viande-Reseau-action-climat.pdf
Lepiller O. et Yount-André C., (2019). La politisation de l’alimentation ordinaire par le marché. Revue des sciences sociales, 61, 26-35. https://doi.org/10.4000/revss.3901

 

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